Pratique voile

Un mât neuf pour mon Brise de Mer

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Budget plombé et chantier rallongé : au départ, devoir changer le mât était une tuile ! D’un autre côté, c’était l’occasion de dessiner un nouveau plan de mât pour booster le bateau. On vous fait partager ce que l’on a appris auprès de Cornouaille Gréement.

Mise a terre et démâtage pour menus travaux d’entretien, parmi lesquels le changement du gréement dormant : ça, c’était le programme de base. Elle est belle la naïveté du plaisancier ! On a beau savoir que ce programme initial est un pur mirage, on se fait toujours avoir par cette image aux contours nets et précis qui prend des airs d’aquarelle délavée dès qu’on se met à pied d’œuvre. Le pied, c’est justement lui le talon d’Achille. Le mât de notre vaillant Brise de Mer 31 a passé le cap de la quarantaine. Pour un espar, ce n’est pas vraiment la force de l’âge et on ne peut pas lui en vouloir de nous faire le coup du « chou-fleur ».

L’affaissement du pied de mât, qui a pris une forme évasée, est un signe évident de vieillissement naturel dû à l’effet de la compression du gréement dormant et courant : les tensions en jeu sont importantes et la surface du profil qui les assume est réduite. Deuxième constat : le profil est aminci. L’humidité et le sel stockés à cet endroit favorisent en effet la corrosion qui grignote doucement l’aluminium. Mais ce n’est pas tout ! Une vilaine fissure partie de la base du mât est venue mourir quelques centimètres plus haut. Si le perçage n’avait pas été là pour l’arrêter, nul doute qu’elle aurait continué sa progression en mode « Age de glace ». Inquiets, nous sollicitons l’expertise d’un gréeur qui vient au chevet de notre mât et nous confirme que le pronostic vital est en jeu.

Raccourcissement du mât

Même si la fissure est neutralisée et que le mât pourrait encore tenir malgré l’affaiblissement et l’amincissement du profil à sa base, le risque de démâtage est réel. Nous voilà donc dans le bureau de Cornouaille Gréement face à Stéphane Hébert, notre gréeur en blouse blanche dont le diagnostic peu engageant nous a poussés à revoir nos plans. C’est la fameuse étape floue et mouvante de l’aquarelle impressionniste. Evidemment, nous l’interrogeons quant à la possibilité de réparer.

Si le mât n’avait pas été percé à plusieurs endroits à sa base, il aurait été envisageable de découper les quelques centimètres « malades ». Le raccourcissement du mât implique que l’ensemble du plan de voilure soit légèrement décalé vers le bas.

Il faut donc vérifier que l’abaissement de la bôme n’est pas gênant (présence d’une capote par exemple) et raccourcir les câbles du gréement dormant en conséquence. La pose d’une cale qui rehausse le pied de mât permet sinon d’éviter ces réajustements. Une solution économique qui repousse le problème en repartant sur une base saine… mais qui n’est pas applicable à notre mât « gruyère » !

La technique du manchon

Vient ensuite la question du manchon. Cette technique est plutôt utilisée pour réparer les mâts qui sont se brisés plus haut en deux parties.Trouver un manchon qui épouse parfaitement le profil intérieur du mât est très rare, à moins de tomber, par chance, sur un mât d’occasion laissé à l’abandon quelque part. Le manchonnage est un pansement provisoire qui relève du bricolage amateur : techniquement, sur un mât qui s’écrase, il est impossible de renvoyer efficacement la compression vers le manchon. Dans ce cas, ce sont les rivets qui encaissent la tension ! De toute façon, poser une doublante ne fonctionne que s’il n’y a pas de pièce encastrée à l’intérieur du mât : le pied de mât étant constitué d’une partie mâle, la question est réglée.

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La préparation du mât (pose de l’électricité, de l’électronique, des cordages, des câbles et de l’accastillage) est une prestation proposée par le gréeur. Pour alléger la facture, nous nous en occupons.

L’occasion fait le larron

A ce stade, l’image commence à se préciser, et ce qui se dessine pique les yeux : le remplacement du mât d’origine par un neuf est la seule solution viable. Allons bon ! L’addition est revue à la hausse et l’information digérée non sans quelques ballonnements. Mais l’on se remet vite de tels désagréments quand le fantasme nous met l’eau à la bouche. Un mât neuf ?

Est-ce qu’on n’en profiterait pas pour faire tailler un mât plus grand ? Dans le petit temps, le Brise de Mer 31 traîne beaucoup d’eau et n’arrive pas à se mettre dans ses lignes par manque de toile. C’est l’occasion rêvée d’optimiser le bateau pour profiter pleinement de sa belle carène !

Et puis ça tombe bien, les voiles avaient besoin d’être changées ! Oubliée la soupe à la grimace : la perspective de pimenter nos futures croisières a eu raison de nos tergiversations. Retour à la réalité, c’est-à-dire au bureau de Stéphane : pour ne pas exploser le budget, nous investirons d’abord dans un mât, une bôme et un gréement dormant neufs, ce qui est déjà pas mal !

Naviguer avec un mât « trop grand »

Les voiles, on verra ça plus tard, ce qui veut dire que dans un premier temps, on naviguera avec un mât « trop grand ». Appel à tous : le Brise de Mer 31 rouge qui navigue arisé dans 8 nœuds de vent, c’est nous ! Concernant l’évolution du plan de voilure, un triangle se met en place entre Seldén (le fabricant du mât), Cornouaille Gréement (le revendeur), et nous (les clients).

Stéphane se charge de relever sur place toutes les altitudes du gréement d’origine et de tirer un plan de mât. Le cahier des charges du nouveau mât est établi à partir de notre retour d’expérience (le bateau est sous-toilé dans le petit temps), de données fournies par Seldén (un mât plus grand que celui d’origine a déjà été validé par le bureau d’études et fabriqué pour un autre client) et des conseils de Stéphane.

L’idée est de faire évoluer le plan de mât sans dénaturer le bateau ni compromettre l’équilibre à la barre défini par l’architecte (Jean-Marie Finot en l’occurrence). Le nouveau plan de mât doit être cohérent avec l’anatomie du voilier : le maître bau, le tirant d’eau, le déplacement, le poids du lest influent sur le couple de redressement, et donc sur le choix du profil.

Gréement fractionne à deux étages

La solution proposée par Seldén : un mât significativement plus élancé (environ un mètre de plus) au profil plus mince, avec un étage de barres de flèche supplémentaire et un gréement fractionné. Autant dire, une vraie petite révolution ! Les gréements fractionnés, c’est-à-dire avec un décalage de hauteur entre l’ancrage du pataras et celui du génois, positionné plus bas, sont la norme aujourd’hui.

Le fractionnement permet d’adopter un plan de voilure plus moderne : une raison esthétique somme toute très périphérique. Côté pratique, le fractionnement permet de décaler les sorties de drisse du spi et du génois qui ne risquent plus de s’emmêler. Cela résout également le problème d’encombrement de la chaussette qui, dans le cas d’un gréement en tête, vient se plaquer contre l’enrouleur de génois ou l’emmagasineur de gennaker.

Enfin, le fractionnement permet, en navigation, de jouer sur la courbure du mât (le cintre). Quand on cintre le mât en étarquant le pataras, on fait déverser la chute en vrillant la grand-voile. Quand on prend du pataras sur un gréement en tête, on ne fait que tendre l’étai.Techniquement, et c’est là l’intérêt principal, le fractionnement permet de réduire la section du mât en créant un couple entre l’étai et le pataras.

Quand le gréement est mis sous tension, le mât, sous l’effet de la compression, forme un arc. Dans le cas d’un gréement en tête et dans l’axe (pataras et étai face à face et barres de flèche non poussantes), la courbure peut se former vers l’arrière comme vers l’avant du bateau. Le fractionnement oriente le cintre dans le bon sens : le haut du mât vers l’arrière et le milieu vers l’avant.

Un mât plus grand mais plus léger

Ce décalage permet d’augmenter la tenue longitudinale (tenue dans la longueur, d’avant en arrière). L’ajout d’un étage de barres de flèche améliore quant à lui la tenue latérale du mât (sur les côtés) : avec les haubans intermédiaires en plus (D2), le mât n’est plus maintenu en deux mais en trois points latéralement. Ce gain de stabilité offre l’opportunité de diminuer l’inertie du mât, qui correspond à la capacité du tube à se « tenir tout seul ». L’inertie est directement liée à la section du mât.

Dans le cas d’un profil plus fin et donc plus souple, l’inertie moins élevée est compensée par une meilleure tenue latérale et longitudinale. A la clé : un mât plus grand que celui d’origine mais plus léger, ce qui permet d’augmenter doublement les performances du bateau en augmentant la puissance tout en diminuant le fardage. Youpi !

Fractionner c’est bien, mais il ne faut pas non plus s’enflammer. Si on agrandit beaucoup plus la surface de la grand-voile par rapport à celle du génois, le bateau devient trop ardent. En plus de compromettre l’équilibre du bateau, un fractionnement démesuré entraîne le risque de voir le mât se briser dans sa partie supérieure : la partie libre au-dessus de l’ancrage de l’étai est trop longue.

Comment obtenir une tenue latérale mais aussi longitudinale ?

On est alors obligé de poser un guignol (entretoises poussantes maintenues par des câbles formant un losange) pour garantir la tenue latérale mais aussi longitudinale de cette section. Un fractionnement de 9/10 permet de garder un bon équilibre d’ensemble sans entrer dans ce type de considérations. La solution la plus simple, qui a l’avantage de minimiser les adaptations et donc de maîtriser le budget, consiste à ne pas modifier la hauteur de l’ancrage de l’étai (le mât est rallongé au-dessus de l’ancrage d’étai).

C’est uniquement la grand-voile qui gagne en surface avec un guindant plus long. On fait l’économie d’une nouvelle voile d’avant et il n’y a pas besoin non plus de rallonger l’étai et d’adapter l’enrouleur en conséquence. Ce scénario, idéal pour nos finances, n’a pas été retenu, la faute à notre gourmandise : pour grappiller des nœuds, le nouveau mât arbore un mètre de plus que l’ancien. Pour que le fractionnement reste raisonnable, l’ancrage d’étai doit obligatoirement être remonté. Les profils d’enrouleur du génois doivent donc être rallongés et la voile d’avant changée.

Le système de prise de ris automatique

Nous avons quand même profité de cette contrainte pour poser un ridoir sur l’étai pour un meilleur réglage de la quête du mât : c’est la longueur de l’étai qui détermine la quête du mât, prédéterminée à environ 1 ou 2°. Plus il y a de quête, plus le bateau est ardent. Il faudra à notre nouveau mât une nouvelle grand-voile, un nouvel étai et un nouveau génois. Mais ce n’est pas tout, la section de la bôme est un peu juste par rapport aux contraintes supérieures du nouveau gréement et son vît-de-mulet n’est pas adapté.

Pas d’amertume de ce côté : l’espar a fait son temps. Mais tant qu’à faire, nous avons craqué pour le système de prise de ris automatique : pour chaque ris, un palan installé à l’intérieur de la bôme (et dont la commande revient au piano) met en tension simultanément le point d’amure et le point d’écoute.

Une solution très pratique qui permet de prendre les deux premiers ris sans sortir du cockpit (la hauteur du ris ne pouvant être supérieure à la longueur de la bôme, à cause de la course du palan, le 3e ris est donc exclu). Sauf si l’on navigue tout de suite avec une GV neuve, il faut penser à vérifier que les coulisseaux de l’ancienne voile sont adaptés à la ralingue du nouveau mât (faire recoudre des coulisseaux est une formalité).

L’opération qui s’annonce la plus complexe est l’adaptation du pied de mât. Sur les bateaux en composite, ce n’est pas un souci. Il suffit de repositionner la platine de pied de mât (pièce fournie par Seldén) par rapport à l’axe de l’ancien mât et à décaler les perçages sur le pont.

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Le mât est sécurisé et préréglé. Le réglage précis ne peut être fait qu’après la mise à l’eau.

Des barres de flèches poussantes

A l’intérieur, il faut vérifier l’accessibilité (vaigrages…) et repérer l’emplacement de la fixation de l’épontille ainsi que la position des cloisons. Avec un pied de mât soudé au pont en aluminium, pas moyen de boulonner à travers le rouf… Ce n’est pas la la configuration la plus simple. Finalement, l’ancien pied de mât est arasé et une embase sur laquelle est vissée la platine de pied de mât est soudée au pont. Cette intervention a un peu plombé notre budget mais au moins, c’est du solide ! Avant de refermer le chapitre des galères, évoquons une alternative au fractionnement pour améliorer la tenue longitudinale du mât : le remplacement des barres de flèche dans l’axe par des barres de flèche poussantes.

En orientant le milieu du mât vers l’avant, on obtient le même effet. Sachant que c’est la position des cadènes qui détermine l’angle des barres de flèche, il faut alors déplacer les cadènes sur le pont. Tout un programme ! A noter aussi que l’ajout d’un étage de barres de flèche (pour la stabilité latérale) a un impact sur la circulation dans les passavants. Le premier étage du nouveau gréement étant plus bas que l’ancien et unique étage, les bas haubans risquent de gêner le passage. Sur notre Brise de Mer 31, les cadènes étant rentrées, nous n’avons pas ce problème.

Ça y est, tous les points techniques ont été mis à plat, nos choix sont faits, les dés sont jetés, nous sommes prêts à commander. C’est notre dernier mot Stéphane ! Le mât livré par Seldén, nous prenons la suite pour limiter les coûts de main-d’œuvre : électricité, gréement courant, montage des barres de flèche et pose du gréement dormant. Ces tâches sont à notre charge (au passage, merci au technicien de Cornouaille Gréement pour le prêt d’outils et le don de conseils !).

Les étapes de la pose du mât

Viennent ensuite les étapes tant attendues de la pose du mât. Le bateau étant encore à terre, la mise en tension opérée par Stéphane n’est qu’un préréglage. Le réglage à proprement parler n’est réalisé qu’après la mise à l’eau. Ce n’est que lorsque le bateau est dans ses lignes que le gréeur peut régler précisément le gréement et donner une forme convenable au mât. C’est encore plus vrai pour les unités en composite dont la coque se déforme systématiquement sur les bers. Le réglage définitif ne se fait qu’au terme de deux ou trois navigations où l’on s’attache à tirer des bords, idéalement dans 10-15 nœuds de vent pour ne pas trop solliciter le gréement. Pendant cette période de rodage, les câbles s’allongent légèrement avant d’adopter leur longueur définitive.

Il est donc parfois nécessaire de reprendre un ou deux tours de ridoir (de manière symétrique sur chaque bord !) jusqu’à ce que les haubans sous le vent soient légèrement mous. Si la quête du mât doit être modifiée (bateau trop ardent ou trop mou), la longueur de l’étai doit être ajustée par le gréeur qui doit automatiquement revoir le réglage des haubans pour conserver le même cintre. Nous n’en sommes pas là : nous saurons si le voilier est bien équilibré une fois que nous aurons fait tailler les nouvelles voiles. En attendant, notre Brise de Mer 31 a beau avoir une étrange allure avec ses voiles qui ont rétréci au lavage, cela ne l’empêche pas d’être fier comme Artaban, du haut de ses 11 mètres !

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