Actualité voile Régates et courses

Vendée Globe : quand le vernis craque

Partager :

Aujourd’hui, et à vrai dire depuis des années, la course au large est aussi un exercice de communication. Une communication calibrée pour le public et maîtrisée aussi pour les concurrents, comme l’explique très bien François Gabard dans son livre Rêver large récemment publié chez Stock. Les concurrents n’ont pas à connaître la réalité de vos difficultés, de vos avaries et de vos éventuels coups de blues. Et l’avarie, si on ne peut plus la cacher, on la met généralement sur le dos d’un impondérable extérieur, Ofni ou autre… Seulement voilà, quand la course se fait dure, assez dure pour faire douter les plus costauds, quand les bateaux deviennent des machines quasi-invivables, le vernis craque. Et les codes de la communication aussi.

C’est d’abord Morgan Lagravière qui a confié à nos confrères de l’Equipe le contexte réel de son abandon et surtout son « soulagement » de voir se terminer ce Vendée Globe vécu non comme une épreuve sportive, mais comme une épreuve tout court, qu’il qualifie même d’atroce. On aimerait bien être une petite souris dans le bureau de Philippe Peticolin, DG du groupe Safran avec qui il a rendez-vous dans quelques jours pour évoquer la suite du partenariat. Aujourd’hui, c’est Jérémie Beyou qui y va de sa vacation-vérité. Rien à voir au plan sportif, Jérémie reste en course après une série de réparations épiques et il tient bon, on sait que c’est un dur à cuire. Mais justement parce qu’on connaît sa résistance et son mental de guerrier, certains des termes qu’il emploie dans cette interview font un peu froid dans le dos. « Tu es à quatre pattes dans le bateau, comme un chien »… « le bruit du foil est assourdissant, c’est comme dans une scierie, c’est strident… » Sur la forme, on note que les relations de presse de Jérémie Beyou n’ont pas filtré le message: l’heure est au parler vrai. Sur le fond, on se demande tout simplement comment tiennent les marins encore en course, en particulier ceux qui ont des foilers. Les deux leaders, Alex Thomson et Armel Le Cléac’h continuent leur course folle en serrant les dents, mais un jour ou l’autre ils parleront à leur tour… Après The Transat Bakerly, sur un parcours Plymouth-New-York, on a bien compris que ces bateaux seraient très durs à mener autour du monde, même si les marins se gardaient bien à l’époque de diffuser des messages négatifs. Aujourd’hui, on peut tout simplement se demander si on n’est pas allé trop loin.

La vacation complète de Jérémie Beyou telle que diffusée par l’agence Windreport :

Jérémie, quelles sont vos conditions à l’approche du cap Leeuwin ?

Jérémie Beyou : Je suis devant un front qui me fait avancer vite. Hier (mardi), les conditions étaient favorables, avec une mer plate, c’était facile d’aller vite, du coup j’en ai profité (le plus rapide de la flotte avec 470 milles en 24 heures). Actuellement, j’ai une mer un peu croisée, c’est plus difficile, si bien que j’ai réduit la voilure. Ce n’est pas évident de trouver la bonne cadence : on aimerait bien être tout le temps à 20 nœuds de moyenne, mais parfois, quand on essaie de ralentir, on n’arrive pas à faire démarrer le bateau, on se retrouve à 16-17 nœuds, alors que quand on essaie d’attaquer, on monte vite à 25-30 nœuds.»

Les problèmes de grand-voile sont-ils derrière vous ?

JB : Oui, je pense que j’ai réparé tout ce qu’il y avait à réparer. J’avais l’impression qu’il y avait plus de déchirures, je ne les ai peut-être pas toutes retrouvées, mais les grosses sont réparées, c’est l’essentiel. Et le hook a l’air de tenir, donc ces avaries sont derrière moi, je croise les doigts.»

Au niveau météo, parvenez-vous à obtenir davantage d’informations ?

JB: Oui. J’ai réussi à reconfigurer mon ordinateur, c’est mieux, et j’ai fait une bricole avec l’antenne Iridium de secours que j’ai mise sur ma gaffe. Du coup, quand je veux me connecter, je sors la gaffe avec l’antenne sur le pont, c’est un peu précaire et les fichiers restent longs à charger, mais pour l’instant, ça me permet d’avoir une meilleure connexion, c’est beaucoup mieux qu’il y a quelques jours.»

Comment voyez-vous la situation dans les jours qui viennent ?

JB : «J’ai un long bord de reaching le long de la zone des glaces qui m’attend pendant deux jours dans du vent soutenu, autour de 30 nœuds, parfois 35, ça va se renforcer à une quarantaine au passage du front quand je vais franchir la longitude du cap Leeuwin. Ensuite, le vent va rester fort, il ne descend pas sous les 25 nœuds pendant 4-5-6 jours et à plus longue échéance, vers la Nouvelle-Zélande, une nouvelle grosse dépression arrive. Je suis parti pour une semaine de vent fort, ça va être le rouleau compresseur, j’ai parfois l’impression d’être dans le barillet d’une machine à laver. Quand ça dure quelques heures, ça va, mais là, ça va durer quelques jours, je vais sortir de là bien essoré.»

Dans quel état physique et mental vous sentez-vous ?

JB : Physiquement, ça va mieux, j’ai réussi à bien vider le bateau qui est plus étanche, je suis au sec, c’est déjà pas mal. Et j’arrive à mieux manger, même si je n’en suis qu’à mon sac de nourriture de la semaine 3 alors qu’on est en semaine 5 ! Moralement, il y a des hauts et des bas. La nuit dernière, quand j’ai appris que Kito était en difficulté, ça m’a mis un coup, je suis triste pour lui, c’est toujours sur les mêmes que ça tombe… Les pépins qui arrivent aux autres, ça marque. Quand on voit leurs efforts réduits à néant, c’est dur à vivre.»

Rentré en France, Morgan Lagravière expliquait mardi qu’il avait presque ressenti du soulagement quand il a jeté l’éponge tant les conditions sont parfois éprouvantes, qu’en pensez-vous ?

JB : «Je comprends ce qu’il veut dire, je connais ce sentiment de soulagement, parfois c’est tellement dur que quand ça s’arrête, tu es presque content. Il y a deux-trois jours, quand mon hook de grand-voile a cassé, j’ai failli baisser les bras. Il faisait nuit noire, dans des creux de 5 mètres, pendant quelques heures, j’ai eu du mal à redémarrer, je me disais que je n’arriverais pas à réparer. Après, je ne sais pas où je suis allé chercher ça, mais j’ai réussi à le faire. Pour me motiver, je me suis écrit des trucs en grand sur le bateau : « safety first» (priorité à la sécurité) à l’intérieur, et «sois content d’avoir fait une bonne manœuvre» à l’extérieur. Chaque manœuvre propre est une belle victoire, il faut se satisfaire de ça.»

Malgré ces conditions difficiles, arrivez-vous à vous ménager des moments de détente pour lire ou écouter de la musique par exemple ?

JB : «Non, quand ça va vite, tu es à quatre pattes dans le bateau, comme un chien. Et tu n’entends rien : le bruit du foil est assourdissant, c’est comme dans une scierie, c’est strident, tu ne peux pas écouter de la musique. Et tu es sur le qui-vive tout le temps, c’est difficile de switcher en mode relax. Mais j’ai pas mal parlé avec mes proches récemment, ça m’a fait du bien au moral. Je me dis que je suis toujours en course, j’y vais pas à pas, jour après jour, chaque journée passée est une journée gagnée, j’essaie d’avancer comme ça, sans me projeter plus loin.»

Publié par  François-Xavier de Crécy
Publié par François-Xavier de Crécy
journaliste à Voile Mag depuis 2003. Des régates en JOD 35, un tour de l’Atlantique en couple, et déjà une quinzaine d’années à courir d’essai en comparatif pour produire votre Voile Magazine mensuel ! A appris le métier sous la férule des Rubi et consort avant d’essayer de le transmettre à d’autres.
Voir les commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *