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Mini en Mai : récit d'un moment de solitude

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Simon Benaïouche a participé à la Mini en Mai. Et rien ne s’est déroulé comme prévu. Récit embarqué de ces petites galères et grands bonheurs de la course en solitaire.

Me voilà tout juste rentré de la Mini en Mai, je suis arrivé au ponton dimanche matin après ma cinquième nuit en mer en gardant la banane, malgré un résultat sportif en-deçà de toute mes espérances : 20e/25 concurrents au départ, dont trois ayant abandonné. Je ne peux pas dire que cette déculottée m’ait servi de leçon. J’ai tout fait pour prendre ce départ. J’ai travaillé jour et nuit les trois jours précédant la course afin de remettre le bateau en état, suite aux avaries survenues durant ma tentative de qualification hors-course. J’ai travaillé sous la pluie jusque tard le soir avant d’aller dormir dans mon bateau, crasseux et trempé. Heureusement, j’ai pu profiter de coups de main pour effectuer toutes ces bricoles, Julien, Camille et même le président de la classe Mini Lucas, sont venus m’aider. Sans eux je n’aurais pas pu être au départ de cette Mini en Mai. Le bateau n’a pas réussi à passer les contrôles de sécurité, j’ai dû négocier pour partir, n’ayant pas les sous pour investir dans une perche OSR.

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La veille du départ, je suis à bout nerveusement, je craque, le bateau n’est toujours pas prêt, je n’ai même pas feuilleté les IC et sans l’aide météo de Nicolas Jossier, je n’aurais eu qu’une vague idée des conditions qui nous attendaient. Je décide d’aller me coucher avant de remettre le réveil à 4h30 du matin, mardi 24 mai pour poursuivre les travaux sur le bateau. La solitude, c’est à terre qu’elle est la plus difficile à vivre, et je ne suis pas le seul concurrent dans cette situation, impacté directement par le manque de budget sans autre solution que de tout faire soi-même en restant à des kilomètres d’une quelconque rigueur sportive nécessaire à la préparation d’une course : analyse météo, préparation minutieuse d’une navigation, carène impeccable et configuration de voiles en tête. Bref, à 11 heures je quitte le ponton, pas très combatif et déjà épuisé mais avec la satisfaction de partir. Tout fonctionne à peu près et je vais pouvoir laisser derrière moi ces trois journées cauchemardesques. Ayant eu l’esprit totalement tourné ailleurs, je n’ai même pas pu appréhender cette course, je quitte le ponton avec le même état d’esprit que si j’allais faire un entraînement de deux heures. Je ne réalise pas que je m’apprête à vivre ma plus longue expérience en mer sur un bateau, le tout seul et sans assistance.

 » Ça s’appelle un passage à niveau et clairement, je suis du mauvais côté de la barrière. « 

A 11 heures, le départ est lancé. Mes soucis ont commencé 10 minutes plus tôt. Au moment du départ, je suis à 0,5 mille de la ligne, le gennaker est presque hissé, mais je n’arrive pas à orienter mon bout-dehors, trop de ragage sur les bouts. Je file à l’avant du bateau. Dans la manœuvre, je fais sortir le bout de l’emmagasineur de gennaker du taquet qui commence à se dérouler. C’est un peu la galère, je tente de la rattraper en faisant le poirier à l’avant du bateau. En frottant, mon gilet de sauvetage se déclenche. Le sketch ! J’enfile mon gilet de spare après avoir résolu le problème et franchi la ligne avec 1,3 mille de retard sur la flotte. Ensuite je remonte petit à petit jusqu’à la bouée au vent. Mon grand spi est prêt. L’envoi se passe presque impeccablement, et là : grosse cocotte. Le matin je n’ai ferlé que mes deux autres spis : ERREUR. Je suis obligé d’affaler, d’envoyer un petit spi, le vent mollit, je reperds de la distance sur le paquet de devant, je décide de garder le médium car j’arrive près de la marque sous le vent et le bord d’après est très lofé. Bref. A ce moment, le vent tombe au niveau du rocher de la Vieille. Le bateau, juste 100 mètres devant arrive à passer. Moi non. Je reste bloqué pendant une heure à 0 nœud, les voiles battantes, pendant que, plus loin, les concurrents me collent 6 milles, le tout après seulement trois heures de course ! Ça s’appelle un passage à niveau et clairement, je suis du mauvais côté de la barrière.

Nous sortons du chenal de la Teignouse pour partir sur le parcours hauturier, je ne vois même plus les bateaux de devant. A 20 heures et déjà bien fatigué, je décide d’aller caler plusieurs siestes de 15 minutes à intervalles réguliers pour ne pas finir carbonisé avant la nuit de portant qui nous attend, avec du vent fort au programme. J’espère être capable de bourriner autant que les autres pour rattraper mon retard. Vers 22 heures le vent rentre, je garde le grand spi et prends un ris dans la GV, je reviens petit à petit sur les camarades en queue de peloton. A ce moment, je dois être avant-dernier. S’ensuivent de nombreux changements de spi durant la nuit : spi médium puis code 5 jusqu’à la pointe de Penmarc’h, vers la fin j’enchaîne les vracs et décide d’affaler.

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Je ne peux pas envoyer mon gennaker car je n’arrive toujours pas à orienter mon bout-dehors à poste, je reste donc sous génois, très lent (8,5 nœuds quoi…) jusqu’au raz de Sein, puis jusqu’à la base des Lys où je perds mon aérien. Ça me vaudra un joli virement de bord du bateau sous pilote… Je ré-envoie mon spi médium vers 7 heures du matin, enchaînant furieusement des surfs à 15 nœuds. J’arrive vers 10 heures à l’occidentale de Sein, complètement trempé et cramé. En affalant le spi, mon bout-dehors plante dans une vague et je tords la rotule permettant de l’orienter. La lose. Je vais à l’avant voir les dégâts mais il y a deux mètres de creux et c’est un peu rock’n roll. A priori rien de bien méchant ! N’ayant plus de batteries, je mets en route mon groupe électrogène à l’extérieur, une solution de camping-cariste que j’ai trouvée me permettant de charger mes batteries pour 5% du prix d’une pile à combustible. Mais sur le plan ergonomique c’est un peu infernal. Complètement trempé et fatigué, l’odeur de l’essence me fait basculer dans le côté obscur de la force : début de mal de mer, me voilà désormais en queue de peloton en train de refaire la peinture de la coque de mon bateau.

« Je commence à avoir des hallucinations »

Le vent mollit comme annoncé, s’ensuit alors une journée de pétole où il n’est toujours pas question d’aller se coucher. Je reste aux réglages, tentant de faire avancer le bateau, sans d’autre information sur le vent que le peu de sensations dont je dispose, puisque mon aérien ne fonctionne plus. Vers 21 heures, pas une risée à l’horizon. J’envoie mon petit spi car en dessous de 3 nœuds de vent c’est la seule voile qui arrive à se gonfler. Je commence à avoir des hallucinations. J’entends des gens qui parlent en VHF alors qu’il n’y a personne. Je suis parfois persuadé de naviguer en double. Et je pars caler une sieste de 15 minutes et me réveille… trois heures après, avec l’alarme à fond dans le bateau ! Heureusement pour moi, le vent n’est toujours pas rentré. Je n’ai rien perdu sur mes concurrents visibles à l’AIS, j’en profite pour avancer encore les poids dans le bateau, regarder mes voiles, réfléchir, regarder à nouveau le routage, les nuages… Vers 4 heures du matin, je repose la tête dans le cockpit et me rendors inopinément. Cette fois-ci, je n’avais pas mis d’alarme et me réveille au lever du jour. Le scénario catastrophe : spi à contre dans l’étai, le bateau tanqué alors qu’il y a du vent et plus personne de visible à l’AIS. Je hurle, je me sermonne, j’ai envie de pleurer. Mon moral est au plus bas mais il faut que je me calme. Je me raisonne et me concentre sur mes réglages. Au soir, c’est un succès puisque j’entends à nouveau du monde en VHF. La nuit suivante, je suis revenu à 5 milles du paquet en queue de peloton et ils sont de nouveau visibles à l’AIS.

« Le bateau va vite, et le sillage s’illumine sous l’effet du plancton phosphorescent. Un moment de grâce »

Cette troisième nuit me permet de retrouver le moral. J’ai de toute façon conscience que la course est pratiquement pliée pour moi, alors je la prends comme une aventure. J’admire le paysage, je mesure la chance qui m’est offerte de faire ce que je fais actuellement. Le bateau va vite, et le sillage s’illumine sous l’effet du plancton phosphorescent. Un moment de grâce, je cale quelques micro-siestes dans le cockpit, la tête plongée dans les étoiles au milieu de nulle part, en pensant à l’effort d’abstraction qui a été nécessaire aux premiers navigateurs qui les utilisaient pour se repérer puis en philosophant presque, mesurant l’insignifiance de nos petits problèmes à l’échelle de notre univers, songeant qu’il y a plus d’étoiles dans le ciel que de grains de sable dans toutes les plages de notre planète, des endroits où le temps s’écoule différemment… Puis passant du coq à l’âne avec un sourire mesquin, j’ai une pensée soudaine pour tous les terriens coincés à la pompe à essence. D’ailleurs je n’ai aucune nouvelle de ce qui se passe à terre depuis notre départ, c’est un sentiment incroyable que celui d’être coupé du monde, à une époque où l’on est sur-connecté, où il ne s’écoule pas cinq minutes sans consulter son fil d’actualité Facebook ou Twitter, abreuvé d’informations que l’on n’a même plus le temps de traiter. Au moins, à l’issue de cette nuit une chose est sûre, j’ai chopé le virus et je ne me suis pas trompé en venant faire du mini. J’ai un plaisir fou à savourer ces moments extraordinaires comme perdu au milieu du désert.

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« J’ai chopé le virus et je ne me suis pas trompé en venant faire du mini ».

Les trois derniers jours, je réussis à rester collé aux fesses de Pierre Revol et Vianney Desvignes, mes concurrents directs dans des conditions très molles et sans jamais réussir à les doubler. On enchaînera de nombreux changements de voiles et le combat en queue de peloton fut superbe, ponctué par la visite de nombreux dauphins. Le moral retrouvé et à portée d’émission VHF, j’ai pu enfin commencer à me joindre aux conversations. On y a parlé de tout. Ça aide à garder le moral dans la pétole. N’ayant aucune météo et ne disposant d’aucun moyen de communication vers l’extérieur, nous échangeons les informations que nous avons pu recueillir en contactant les cargos croisés ou les sémaphores. La fin du parcours fut ponctuée par de nombreux orages, où nous avons alterné zones de calmes et bords rapides sous spi. Après six jours de course et cinq nuits en mer, je coupe la ligne d’arrivée 90 secondes devant Vianney, signant le plus petit écart sur cette course, la preuve que même en étant derniers, on continue à se battre !

Au final, je ne retiens que du positif. J’ai fini, et ça c’est déjà une performance en soi. Il y a deux mois je n’avais pratiquement jamais navigué en solitaire. Là, j’ai déjà parcouru plus de 2 000 milles essentiellement en solo, en bouclant par la même occasion ma qualification en course pour les Sables – Les Açores. Et pour la Mini-Transat, il ne me reste plus qu’à repartir en qualif. Ce que je compte faire dès le mois de juin après le trophée Marie-Agnès Péron à Douarnenez. Ce sera la deuxième étape du championnat de France de course au large en solitaire, je vais rester longtemps sur place pour finir de préparer et réparer mon bateau et tâcher de prendre le départ avec autant de préparation que possible. S’il faut travailler plus pour que ça fonctionne, je le ferai. Ma détermination suite à cette Mini en Mai n’est que renforcée, il faut voir le verre à moitié plein.

Certes je navigue avec des voiles complètement trouées, je crèche dans mon canote et j’ai même pas les sous pour changer ce qui ne va pas à bord. Mais si c’était facile ça ne servirait à rien de se lancer dans un tel projet. Rien n’est écrit à l’avance. Et je suis fier d’écrire cette belle aventure aux côtés de ceux qui me soutiennent : j’espère ne pas vous avoir déçus sur cette course. Il y en aura d’autres, c’est le métier qui rentre. Je repars demain convoyer le bateau sur Lorient puis vers Douarnenez d’ici la fin semaine, à très bientôt !

Simon Benaïouche

Publié par  François-Xavier de Crécy
Publié par François-Xavier de Crécy
journaliste à Voile Mag depuis 2003. Des régates en JOD 35, un tour de l’Atlantique en couple, et déjà une quinzaine d’années à courir d’essai en comparatif pour produire votre Voile Magazine mensuel ! A appris le métier sous la férule des Rubi et consort avant d’essayer de le transmettre à d’autres.
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