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Des hauteurs d’eau négatives, ça existe ?

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Prédictions de marées du SHOM pour les trois prochains jours. Notez les deux chiffres négatifs à la basse mer…
Prédictions de marées du SHOM pour les trois prochains jours, à Granville. Notez les deux chiffres négatifs à la basse mer…
A l’approche des grandes marées de ce week-end, un de nos lecteurs manifeste une légitime inquiétude (il nous pose la question sur la page dédiée de ce blog) :

« Je viens de voir que les marées basses du 21 et 22 mars seraient négatives à Granville ! Comment cela se peut-il ? On nous aurait menti sur le zéro des cartes ? Merci d’éclairer ma lanterne. »

La vérité nous oblige à le dire en effet : quand on est au zéro des cartes, c’est-à-dire quand la hauteur d’eau indiquée par l’annuaire des marées est de zéro, ou quand on se promène du regard sur la ligne de zéro des cartes, eh bien… en fait, ça peut encore descendre plus bas, dans quelques très rares cas… dont celui de Granville. Mais dans la plupart des cas, c’est le contraire : ça ne peut pas descendre si bas. Pour que tout le monde soit certain d’avoir toujours au minimum la hauteur d’eau portée sur la carte (hauteur donnée par rapport à ce zéro des cartes dit « zéro hydrographique » ou ZH pour les intimes), et pour que l’on puisse en être d’emblée certain sans avoir à vérifier s’il n’y aurait pas un chiffre négatif dans l’annuaire des marées, le zéro hydrographique est (presque) toujours positionné à quelques centimètres en dessous du niveau des plus basses mers astronomiques (PBMA), autrement dit en dessous du niveau le plus bas auquel les phénomènes astronomiques puissent porter la marée. Du coup, et sauf exceptions, les plus petites hauteurs d’eau que l’on puisse trouver dans les annuaires de marée sont toujours positives de quelques centimètres. Sauf dans quelques zones précises telles que Saint-Malo, Granville ou encore Dieppe.

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Si l’on se cale, comme ici, sur le niveau du zéro hydrographique ZH, on voit bien que le niveau des plus basses mers astronomiques (PBMA) varie selon les lieux, ainsi que le zéro du nivellement terrestre (Ref).
Sur ce dessin, on a pris comme référence basse le zéro hydrographique du mont Saint-Michel.
Sur ce schéma, toutes les hauteurs sont données par rapport au zéro terrestre (échelle de droite, en noir) ou par rapport au zéro hydrographique du mont Saint-Michel (échelle de gauche, en bleu). On voit bien ici que l’altitude du zéro hydrographique varie selon les lieux : ce zéro est naturellement plus bas là où les marées sont plus fortes (mont Saint-Michel), et plus haut là où elles sont plus faibles (Port-Navalo), de même que le niveau des plus hautes mers astronomiques (PHMA) sera plus ou moins élevé lui aussi – du mont Saint-Michel à Port-Navalo, on relève ainsi un peu plus de 4 m d’écart entre les deux zéros hydrographiques, et un peu plus de 5 m entre les deux niveaux PHMA. PMVE est le niveau de la pleine mer de vives-eaux, NM le niveau moyen ; les terre-plein et le pont-passerelle (ainsi que l’ancienne digue-route) dont les niveaux sont indiqués en haut du schéma sont ceux du mont Saint-Michel.

Le fait est que pour le samedi 21 mars à Granville, le SHOM annonce une hauteur d’eau de -8 cm à la basse mer de 15h16, et le lendemain encore, -1 cm à la basse mer de 15h59 (heures en TU + 1). A Dieppe aussi, on annonce -1 cm à la basse mer du 21 à 19h33.

On notera qu’à ce compte-là, il n’y pas de véritable « symétrie » sur une carte marine entre la laisse de pleine mer, qui indique bien le niveau des plus hautes mers astronomiques (PHMA), et la ligne de zéro des cartes, celle-ci ne correspondant pas au niveau des plus basses mers astronomiques – il ne faut pas parler de « laisse de basse mer », ce n’en est pas une, et du reste il n’y a pas de laisse de basse mer dessinée sur la carte.

Mais alors le zéro des cartes c’est quoi au juste ? A l’instar du zéro terrestre (« zéro du nivellement terrestre » ou Ref pour les intimes), c’est un niveau de référence verticale défini par rapport à un réseau de repères physiques (le zéro du nivellement terrestre étant la référence verticale du « système altimétrique légal »). On trouve dans l’ouvrage de marée du SHOM intitulé Références Altimétriques Maritimes – Ports de France métropolitaine et d’outre-mer – Cotes du zéro hydrographique et niveaux caractéristiques de la marée une définition très complète et officielle de ce zéro hydrographique (citée ci-après) et aussi, pour tous les ports du littoral français, toutes les références altimétriques du zéro hydrographique (sa position par rapport au zéro terrestre) et tous les principaux niveaux de hauteur d’eau : PHMA et PBMA (plus haute mer astronomique et plus basse mer astronomique), PMVE et BMVE (pleine mer et basse mer de vives-eaux), et PMME et BMME (pleine mer et basse mer de mortes-eaux). Sans oublier le niveau moyen NM, qui peut être assez proche de la hauteur d’eau à mi-marée (laquelle varie à chaque marée), et qui est toujours assez proche du zéro terrestre, mais qui n’a rien à voir ni avec celui-ci ni avec celle-là. [1]

Extrait de l’ouvrage du SHOM Références Altimétriques Maritimes (disponible gratuitement en téléchargement, cliquez ici), à propos du zéro hydrographique (pages 21-22 ; c’est nous qui soulignons) :

« DÉFINITION

– Le zéro hydrographique est une référence verticale : il s’agit du niveau de référence commun aux cartes marines et aux annuaires des marées. C’est, en quelque sorte, l’équivalent en mer de la surface de référence des altitudes à terre portées sur les cartes de l’IGN.

– Le zéro hydrographique ou zéro des cartes marines est le niveau de référence à partir duquel sont comptées, positivement vers le bas, les sondes portées sur les cartes marines et, positivement vers le haut, les hauteurs de marée. Il est choisi en France au voisinage du niveau des plus basses mers astronomiques qui est un niveau théorique sous lequel le niveau de la mer ne descend que très exceptionnellement.

Le choix d’un zéro hydrographique au voisinage des plus basses mers astronomiques est arbitraire, mais commode, car le marin est pratiquement assuré de disposer d’au moins autant d’eau que ce qui est indiqué sur la carte marine. Ce choix est préconisé par les services hydrographiques des pays membres de l’Organisation Hydrographique Internationale (OHI).

DÉTERMINATION DU ZÉRO HYDROGRAPHIQUE

– Le zéro hydrographique est déterminé à partir des observations de marégraphie et par l’analyse de celles-ci pour calculer les valeurs des différentes composantes de la marée sur le site d’observation. Ce zéro hydrographique calculé est rapporté en pratique à un ensemble de repères proches de l’observatoire. Ces repères, dits de marée, et leurs cotes déterminent concrètement la référence du zéro hydrographique.

– Les composantes de la marée sont d’autant mieux connues que l’analyse porte sur des observations continues qui couvrent une longue durée. L’idéal est d’avoir une série de 19 ans de mesures pour tenir compte de la modulation à longue période des composantes de la marée. Un an d’observation continue est considéré comme l’intervalle minimum pour obtenir des résultats suffisamment précis pour les besoins de la prédiction de marée à l’usage des navigateurs.

– La plupart des zéros hydrographiques ont été établis dans le passé, à des dates différentes d’un site d’observation à l’autre, suivant les besoins de la navigation et avec les moyens disponibles au moment de leur détermination ne permettant pas une résolution précise du niveau des plus basses mers. Aussi, les hydrographes français, soucieux de la sécurité des navigateurs, et peut-être un peu méfiants des méthodes qu’ils appliquaient et/ou de leurs propres résultats, ont souvent pris une marge de sécurité et ont coté le zéro hydrographique en dessous des plus basses mers qu’ils avaient calculées. Les zéros hydrographiques des ports français ont généralement été adoptés indépendamment les uns des autres. Il en résulte que l’écart entre le zéro hydrographique et le niveau des plus basses mers astronomiques peut varier entre deux zones de marée. Il est par exemple égal à 40 cm à Calais et nul à Dieppe.

– Par ailleurs, il convient de se rappeler que le niveau moyen de la mer varie dans l’espace et à long terme dans le temps. Si les séries temporelles de moyennes annuelles montrent une variabilité moindre que les séries mensuelles sur une dizaine ou une vingtaine d’années, à plus long terme il n’est pas rare d’observer des variations de quelques décimètres sur des périodes de plusieurs dizaines d’années (par exemple : environ +1,2 mm/an sur la période de 1807/2007 ; N. Pouvreau – 2008).

– Quelle que soit l’origine d’une réalisation imparfaite du zéro hydrographique : évolution du niveau moyen de la mer, choix insuffisamment précis de l’hydrographe, ou changement de régime des marées…, celle-ci est maintenue sauf cas très exceptionnel où l’écart avec la définition théorique (voisine du PBMA) devient inacceptable, soit parce qu’il atteint à la sécurité des navigateurs (cas d’un zéro hydrographique coté au-dessus du PBMA), soit parce qu’il devient une entrave pour le commerce maritime (cas d’un zéro hydrographique coté très en-dessous du PBMA). La tolérance maximale communément admise est de l’ordre de 50 cm. Les exemples de Saint-Nazaire et de Brest en 1994 (respectivement modifiés de 50 et 40 cm) illustrent ces cas exceptionnels. [Ndlr : le zéro de Brest avait été relevé de 50 cm, celui de Saint-Nazaire abaissé de 40 cm.] »

Et pour les niveaux des plus basses mers astronomiques à Granville, le même ouvrage du SHOM nous donne (page 44, ci-dessous) le chiffre de -23 cm, avec des plus hautes mers astronomiques à 14,27 m (contre 14,12 m à la pleine mer de 8h31 ce dimanche 22 mars), ce qui nous donne un marnage théorique maximal de 14,50 m exactement. A Cancale, nous avons +9 cm et 14,52 m, soit un marnage théorique maximal de 14,43 m.

L’ouvrage Références
L’ouvrage du SHOM Références altimétriques maritimes donne, pour chaque port (ici ceux de la zone « Abords de Saint-Malo »), les niveaux caractéristiques de hauteur d’eau (tableau du haut) et la position du zéro hydrographique du lieu dans le système altimétrique légal (tableau du bas, colonne ZH/Ref).

[1] Le niveau moyen est celui que l’on observerait en l’absence de marées. Il est établi en faisant la moyenne, sur une période de temps donnée, des hauteurs d’eau mesurées à cet endroit, desquelles on retranche la hauteur d’eau indiquée dans les prédictions de marée ; il y a ainsi un niveau moyen journalier, un niveau moyen mensuel et un niveau moyen annuel. A Granville par exemple, le niveau moyen indiqué dans l’ouvrage du SHOM Références altimétriques maritimes (voir la page 44, image ci-dessus) se trouve 46 cm au-dessus du zéro terrestre (puisque ce niveau moyen est de 7,08 m, et que le zéro hydrographique est à 6,62 m sous le zéro terrestre).

Publié par Sébastien Mainguet
Sébastien a œuvré à Voile Magazine de 2000 à 2015, aux essais mais aussi très souvent aux sujets équipement dont il s’est fait le spécialiste. Il a notamment été longtemps la cheville ouvrière de notre hors-série annuel dédié à l’équipement.
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