Régates et courses

Les sargasses, ça agace. Ou même ça gâche.

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Le Sun Fast 3600 Grassi Bateaux dans la mer des Sargasses – sauf que ce n’est pas la mer des Sargasses, vu que celle-ci se trouve nettement plus au nord. Mais alors c’est quoi ?

« Y avait plus de sargasses que de mer. »

Ainsi Christophe Prigent, coskipper du Sun Fast 3200 Kefeleg Mor, engagé dans la Transquadra, résumait-il la situation avec sa truculence coutumière, dans la fièvre de l’arrivée.

Nous ne pouvons pas en dire plus à propos de la fièvre de l’arrivée, c’est pourquoi nous allons plutôt parler des sargasses.

Mais il y a de quoi dire !

Car malheureusement, c’est souvent la première chose dont les coureurs parlent en arrivant ici au au ponton (au Marin en Martinique, terme de la deuxième étape de la course). Un véritable cri du cœur. Pendant toute la deuxième (et dernière) semaine de traversée, autrement dit sur plus de 1 000 milles, les concurrents ont dû faire du « slalom » entre les îlots plus ou moins denses et plus ou moins grands (parfois plusieurs milliers de mètres carrés) formés par ces algues pélagiques dont la prolifération récente n’a pas vraiment trouvé d’explication scientifique définitive. [1]

« C’est des bateaux qui planent, on passait de 10 nœuds à 5 nœuds », affirme Jean-Paul Le Breton, coskipper du Mistral 9.50 La Souris Mermon. Et on n’a pas de peine à le croire quand d’autres concurrents nous parlent de plaques si denses que la vitesse du bateau tombait finalement à 1,5 nœuds… A la limite, il existait un risque bien réel de se faire piéger. C’est ainsi que le malheureux Jean-François Hamon, skipper solitaire du Sun Fast 3200 Pour Aster, a dû démarrer son moteur pour sortir de l’une de ces nasses végétales.

Sous spi, tant que l’on n’est pas contraint d’en venir à une telle extrémité, il y a d’autres moyens de gérer la situation. Mais quelle que soit la méthode employée, la manœuvre devait être répétée plusieurs dizaines de fois par jour… Car les algues posent immédiatement des problèmes de vitesse (dès la première touffe, si l’on peut dire), et finissent aussi par poser de sérieux problèmes de stabilité de route à partir du moment où une grande quantité s’est accumulée dans les appendices et en particulier dans les safrans [2] – selon les termes employés par de nombreux concurrents, le bateau peut devenir « imbarrable » et partir au tas sans qu’on puisse l’arrêter. Certains concurrents affirment qu’il fallait recommencer tous les quarts d’heure… Et encore, de jour, à la barre ou avec la commande du pilote, on peut faire du slalom. Alors que de nuit… on n’ose pas imaginer le tableau. Heureusement, vers la fin de la course, la pleine lune était souvent de la partie, ce qui aidait un peu.

Voici donc les quatre méthodes possibles pour se libérer des sargasses :

1- Les enlever « à la main » ou avec les outils dédiés que les concurrents se sont tous confectionnés pour cet usage, à savoir la classique corde à nœuds que l’on fait glisser sous la coque, ou la « canne à algues », sorte de gaffe un peu spéciale permettant de libérer les safrans. Plus délicat, surtout bien sûr en solitaire, il y a l’intervention directe, en plongeant sous le bateau ; mais cela peut s’avérer fatigant, voire risqué ;

2- Affaler, faire la marche arrière sous grand-voile seule, puis renvoyer le spi ;

3- Par petit temps, il est possible de faire une marche arrière sans affaler le spi, en lofant gentiment et en laissant la voile se plaquer dans les haubans… Cela peut se faire jusqu’à 10 nœuds de vent environ, mais les risques pour le spi ne sont pas tout à fait négligeables ;

4- Et enfin il y a une méthode plus radicale, que l’on peut utiliser dans le médium ou la brise, et qui consiste à pousser la barre en grand, autrement dit à partir au tas délibérément. Avec la rotation du bateau et le coup de gîte associé, les algues s’en vont toutes d’un coup. Enfin toutes… Pas sûr. Jean-Noël Tourin, skipper du J/109 Blue Jaws, note – comme beaucoup d’autres concurrents – que les algues agglutinées sur l’embase saildrive ont une fâcheuse tendance à s’accrocher fermement – et de même elles sont bien sûr très difficiles à atteindre avec une corde à nœuds.

Et bien sûr, il y a tous ces concurrents qui, après avoir explosé un ou deux spis, n’en avaient plus qu’un et devaient absolument le ménager. Il va de soi que, dans ce cas de figure, seules les deux premières méthodes (voire la troisième dans les tous petits airs) sont envisageables.

Toujours est-il que beaucoup de coureurs exprimaient une sorte de rage en posant le pied sur le ponton. Il est facile de comprendre qu’un tel travail de forçat puisse gâcher le plaisir de la course. Les sargasses, au début ça agace, mais au bout d’une semaine ça peut sans doute rendre fou. « C’est plus de la régate, c’est du labour », disait un autre concurrent.

Alors qu’il est à terre depuis bientôt trois jours, Olivier Grassi sursaute encore en voyant les vilains bouillons derrière les safrans, sur cette vidéo qu’il visionne tranquillement sur un ordinateur : « Aaaarghhh, c’est le bruit que j’ai encore dans la tête !».



Question subsidiaire : pour s’en débarrasser, peut-on les manger ?

La question est incongrue mais il se trouve que pour une raison pas évidente au premier abord, un certain nombre de concurrents de la course en voulaient un (tout petit) peu à Pierrick Penven. Non pas pour ses deux victoires d’étape (voir ce billet), mais parce que lors d’un briefing des skippers, peu de temps avant le départ, il avait demandé à ses coreligionnaires… de lui faire des prélèvements de sargasses, à l’usage de son laboratoire à l’Institut de recherche pour le développement, à Brest (rappelez-vous, le skipper est océanographe). Au fil de la course, la demande ainsi faite a pris la couleur d’un augure funeste, et l’équipage du Sun Fast 3200 Kefeleg Mor a fait savoir qu’il était bien décidé à offrir une salade de sargasses vinaigrette à l’oracle solitaire, à son arrivée.

Au cours d’une soirée devenue thématique, la joyeuse bande de marins finistériens en a profité pour essayer les sargasses à toutes les sauces, malheureusement ce n’est paraît-il ni vraiment goutu ni vraiment digeste. Ces expériences ont été réalisées par des professionnels, n’essayez pas ça chez vous.

Et plus sérieusement, les nouvelles des médias locaux le confirment : ces algues ne sont décidément pas bonnes, au point que sur les côtes au vent des îles caribéennes, les gaz issus de leur décomposition pourraient désormais constituer un problème de santé publique (sans compter qu’ils s’attaquent accessoirement aux appareils électriques !).

Nous en profitons pour signaler (ou rappeler) aux concurrents qu’ils peuvent remplir en ligne ce questionnaire qui nous permettra de faire un bilan technique de la course – dossier à paraître dans le Voile Magazine daté avril, qui sort le 13 mars. Soyez rassurés il n’y a aucune question sur les sargasses.



A bord de Grassi Bateaux, sans les algues, la vie est belle. Images Eric Troussel.


Et avec les algues… L’équipage prend les choses en main. Images Eric Troussel.

Le skipper de Zéphyrin nous signale que le même phénomène physique (« cellules de Langmuir ») expliquant la disposition des nuages dans le ciel (avec ces sortes d’alignements) rend aussi compte de la disposition similaire des sargasses dans la mer. Une fois qu’on a dit ça… on en récolte quand même dans les appendices du bateau. ©Pierrick PenvenLe skipper de Zéphyrin nous signale que le même phénomène physique (« cellules de Langmuir ») expliquant la disposition des nuages dans le ciel (avec ces sortes d’alignements) rend aussi compte de la disposition similaire des sargasses dans la mer. Une fois qu’on a dit ça… on en récolte quand même dans les appendices du bateau. ©Pierrick Penven

[1] Mais il semble qu’un épisode de prolifération de sargasses ait déjà eu lieu en 2011 dans la Caraïbe ; sur le site du Parc national de Guadeloupe, on évoque une hypothèse selon laquelle les sargasses se nourriraient goulûment de nutriments apportés par l’Amazone (on notera au passage que le phénomène touche aussi la Guyane) et non consommés par la mangrove détruite ; sur d’autres sites, on évoque en outre les rejets agricoles de nitrates et phosphates, qui jouent dans le même sens. Et il existe aussi des hypothèses liées à une éventuelle modifications des courants marins. Pas simple. Toujours est-il que depuis l’automne dernier au moins, la région est sur le pied de guerre. Les images aériennes de la côte au vent de la Martinique (voir ci-dessous) sont terribles.

[2] De nombreux bateaux de la course (pensons simplement aux Sun Fast 3200) sont équipés de deux safrans, ce qui aggrave un peu le problème. Cependant tous les bateaux sont concernés !

Le Sun Fast 3600 Grassi Bateaux dans la mer des Sargasses - sauf que ce n’est pas la mer des Sargasses, vu que celle-ci se trouve nettement plus au nord. Mais alors c’est quoi ?

« Y avait plus de sargasses que de mer. »

Ainsi Christophe Prigent, coskipper du Sun Fast 3200 Kefeleg Mor, engagé dans la Transquadra, résumait-il la situation avec sa truculence coutumière, dans la fièvre de l’arrivée. Nous ne pouvons pas en dire plus à propos de la fièvre de l’arrivée, c’est pourquoi nous allons plutôt parler des sargasses. Mais il y a de quoi dire ! Car malheureusement, c’est souvent la première chose dont les coureurs parlent en arrivant ici au au ponton (au Marin en Martinique, terme de la deuxième étape de la course). Un véritable cri du cœur. Pendant toute la deuxième (et dernière) semaine de traversée, autrement dit sur plus de 1 000 milles, les concurrents ont dû faire du « slalom » entre les îlots plus ou moins denses et plus ou moins grands (parfois plusieurs milliers de mètres carrés) formés par ces algues pélagiques dont la prolifération récente n’a pas vraiment trouvé d’explication scientifique définitive. [1] « C’est des bateaux qui planent, on passait de 10 nœuds à 5 nœuds », affirme Jean-Paul Le Breton, coskipper du Mistral 9.50 La Souris Mermon. Et on n’a pas de peine à le croire quand d’autres concurrents nous parlent de plaques si denses que la vitesse du bateau tombait finalement à 1,5 nœuds… A la limite, il existait un risque bien réel de se faire piéger. C’est ainsi que le malheureux Jean-François Hamon, skipper solitaire du Sun Fast 3200 Pour Aster, a dû démarrer son moteur pour sortir de l’une de ces nasses végétales. Sous spi, tant que l’on n’est pas contraint d’en venir à une telle extrémité, il y a d’autres moyens de gérer la situation. Mais quelle que soit la méthode employée, la manœuvre devait être répétée plusieurs dizaines de fois par jour… Car les algues posent immédiatement des problèmes de vitesse (dès la première touffe, si l’on peut dire), et finissent aussi par poser de sérieux problèmes de stabilité de route à partir du moment où une grande quantité s’est accumulée dans les appendices et en particulier dans les safrans [2] - selon les termes employés par de nombreux concurrents, le bateau peut devenir « imbarrable » et partir au tas sans qu’on puisse l’arrêter. Certains concurrents affirment qu’il fallait recommencer tous les quarts d’heure… Et encore, de jour, à la barre ou avec la commande du pilote, on peut faire du slalom. Alors que de nuit… on n’ose pas imaginer le tableau. Heureusement, vers la fin de la course, la pleine lune était souvent de la partie, ce qui aidait un peu. Voici donc les quatre méthodes possibles pour se libérer des sargasses : 1- Les enlever « à la main » ou avec les outils dédiés que les concurrents se sont tous confectionnés pour cet usage, à savoir la classique corde à nœuds que l’on fait glisser sous la coque, ou la « canne à algues », sorte de gaffe un peu spéciale permettant de libérer les safrans. Plus délicat, surtout bien sûr en solitaire, il y a l’intervention directe, en plongeant sous le bateau ; mais cela peut s’avérer fatigant, voire risqué ; 2- Affaler, faire la marche arrière sous grand-voile seule, puis renvoyer le spi ; 3- Par petit temps, il est possible de faire une marche arrière sans affaler le spi, en lofant gentiment et en laissant la voile se plaquer dans les haubans… Cela peut se faire jusqu’à 10 nœuds de vent environ, mais les risques pour le spi ne sont pas tout à fait négligeables ; 4- Et enfin il y a une méthode plus radicale, que l’on peut utiliser dans le médium ou la brise, et qui consiste à pousser la barre en grand, autrement dit à partir au tas délibérément. Avec la rotation du bateau et le coup de gîte associé, les algues s’en vont toutes d’un coup. Enfin toutes… Pas sûr. Jean-Noël Tourin, skipper du J/109 Blue Jaws, note - comme beaucoup d’autres concurrents - que les algues agglutinées sur l’embase saildrive ont une fâcheuse tendance à s’accrocher fermement - et de même elles sont bien sûr très difficiles à atteindre avec une corde à nœuds. Et bien sûr, il y a tous ces concurrents qui, après avoir explosé un ou deux spis, n’en avaient plus qu’un et devaient absolument le ménager. Il va de soi que, dans ce cas de figure, seules les deux premières méthodes (voire la troisième dans les tous petits airs) sont envisageables. Toujours est-il que beaucoup de coureurs exprimaient une sorte de rage en posant le pied sur le ponton. Il est facile de comprendre qu’un tel travail de forçat puisse gâcher le plaisir de la course. Les sargasses, au début ça agace, mais au bout d’une semaine ça peut sans doute rendre fou. « C’est plus de la régate, c’est du labour », disait un autre concurrent. Alors qu’il est à terre depuis bientôt trois jours, Olivier Grassi sursaute encore en voyant les vilains bouillons derrière les safrans, sur cette vidéo qu’il visionne tranquillement sur un ordinateur : « Aaaarghhh, c’est le bruit que j’ai encore dans la tête !».

Question subsidiaire : pour s’en débarrasser, peut-on les manger ?

La question est incongrue mais il se trouve que pour une raison pas évidente au premier abord, un certain nombre de concurrents de la course en voulaient un (tout petit) peu à Pierrick Penven. Non pas pour ses deux victoires d’étape (voir ce billet), mais parce que lors d’un briefing des skippers, peu de temps avant le départ, il avait demandé à ses coreligionnaires… de lui faire des prélèvements de sargasses, à l’usage de son laboratoire à l’Institut de recherche pour le développement, à Brest (rappelez-vous, le skipper est océanographe). Au fil de la course, la demande ainsi faite a pris la couleur d’un augure funeste, et l’équipage du Sun Fast 3200 Kefeleg Mor a fait savoir qu’il était bien décidé à offrir une salade de sargasses vinaigrette à l’oracle solitaire, à son arrivée. Au cours d’une soirée devenue thématique, la joyeuse bande de marins finistériens en a profité pour essayer les sargasses à toutes les sauces, malheureusement ce n’est paraît-il ni vraiment goutu ni vraiment digeste. Ces expériences ont été réalisées par des professionnels, n’essayez pas ça chez vous. Et plus sérieusement, les nouvelles des médias locaux le confirment : ces algues ne sont décidément pas bonnes, au point que sur les côtes au vent des îles caribéennes, les gaz issus de leur décomposition pourraient désormais constituer un problème de santé publique (sans compter qu’ils s’attaquent accessoirement aux appareils électriques !).

Nous en profitons pour signaler (ou rappeler) aux concurrents qu’ils peuvent remplir en ligne ce questionnaire qui nous permettra de faire un bilan technique de la course - dossier à paraître dans le Voile Magazine daté avril, qui sort le 13 mars. Soyez rassurés il n’y a aucune question sur les sargasses.


A bord de Grassi Bateaux, sans les algues, la vie est belle. Images Eric Troussel. Et avec les algues… L’équipage prend les choses en main. Images Eric Troussel. Le skipper de Zéphyrin nous signale que le même phénomène physique (« cellules de Langmuir ») expliquant la disposition des nuages dans le ciel (avec ces sortes d’alignements) rend aussi compte de la disposition similaire des sargasses dans la mer. Une fois qu’on a dit ça… on en récolte quand même dans les appendices du bateau. ©Pierrick PenvenLe skipper de Zéphyrin nous signale que le même phénomène physique (« cellules de Langmuir ») expliquant la disposition des nuages dans le ciel (avec ces sortes d’alignements) rend aussi compte de la disposition similaire des sargasses dans la mer. Une fois qu’on a dit ça… on en récolte quand même dans les appendices du bateau. ©Pierrick Penven
[1] Mais il semble qu’un épisode de prolifération de sargasses ait déjà eu lieu en 2011 dans la Caraïbe ; sur le site du Parc national de Guadeloupe, on évoque une hypothèse selon laquelle les sargasses se nourriraient goulûment de nutriments apportés par l’Amazone (on notera au passage que le phénomène touche aussi la Guyane) et non consommés par la mangrove détruite ; sur d’autres sites, on évoque en outre les rejets agricoles de nitrates et phosphates, qui jouent dans le même sens. Et il existe aussi des hypothèses liées à une éventuelle modifications des courants marins. Pas simple. Toujours est-il que depuis l’automne dernier au moins, la région est sur le pied de guerre. Les images aériennes de la côte au vent de la Martinique (voir ci-dessous) sont terribles.
Publié par Sébastien Mainguet
Sébastien a œuvré à Voile Magazine de 2000 à 2015, aux essais mais aussi très souvent aux sujets équipement dont il s’est fait le spécialiste. Il a notamment été longtemps la cheville ouvrière de notre hors-série annuel dédié à l’équipement.
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