Régates et courses

Comment gagne-t-on la Transquadra en solitaire ?

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Pierrick Penven, vainqueur de la Transquadra en solitaire pour la flotte atlantique, à son arrivée avant-hier.
Pierrick Penven, vainqueur de la Transquadra chez les solitaires de la flotte atlantique.

Il a donc remporté les deux étapes de la Transquadra, en temps réel et en temps compensé. Souvenez-vous, en juillet dernier à Madère, à l’arrivée de la première étape, ce coureur solitaire amateur nous racontait des choses étonnantes. Du genre : comment il empannait sous spi en solitaire (avec deux tangons) par 30 nœuds de vent et sans même un léger stress. Au Marin, à l’arrivée de la deuxième étape, Pierrick est toujours aussi déchaîné.

Capable de nous faire une démonstration de marche arrière sur la ligne d’arrivée, de rire aux éclats en racontant les moments les plus difficiles de sa course victorieuse… mais pas forcément capable de nous expliquer la présence de ces champs de sargasses qui s’étendent sur des centaines de milles – le skipper est pourtant océanographe, mais il s’avère que ni lui ni ses collègues n’ont d’explication définitive pour ce phénomène qui a pourri la vie des concurrents durant toute la deuxième semaine de course (nous en reparlerons).

A l’arrivée à Madère, Pierrick avait laissé derrière lui tous les autres Sun Fast 3200 de la course – ceux menés en solitaire comme ceux menés en double, soit une vingtaine de bateaux… Cette fois il y en a tout de même un qui s’est glissé devant lui (Kefeleg Mor, Dominique Appéré et Christophe Prigent). Mais bon. Ça n’empêche pas de se demander : comment fait-il ? Voici un ou deux éléments de réponse.

Barrer ou ne pas barrer

Pierrick ne barre pas toujours sous spi, même par vent fort, et pour trois raisons :

– La première est que le Sun Fast 3200 est un bateau remarquablement stable sous spi, de l’avis unanime des utilisateurs (éclairés) que l’on peut croiser ici au Marin à l’arrivée de la course ;

– La deuxième est que Pierrick ne veut pas rester coincé à la barre. Mais que veut-il dire par là au juste ? En fait il veut toujours s’assurer que le pilote est vraiment capable de tenir le bateau. Souci largement motivé par le souvenir d’une histoire édifiante que raconte paraît-il Eric Drouglazet : une séquence dans laquelle le skipper se serait retrouvé à la barre de son Figaro, sous spi avec un vent qui montait très, très haut, trop haut pour le pilote, en sorte qu’il était devenu tout à fait impossible d’affaler. Le récit du figariste incluant une phrase terrible du genre : « J’espérais que le spi explose » (sous-entendu, sinon c’était le gréement, ou le bateau, etc.). Il faudrait sans doute avoir une confirmation de l’intéressé, mais d’un autre côté, tout cela correspond assez bien à son style et à sa réputation. Bref, Pierrick veut être sûr de pouvoir affaler dans de bonnes conditions. C’est peut-être pour cela qu’il avait encore trois spis (sur quatre) à l’arrivée (seul le spi lourd à ris s’est déchiré, le long du zip, « suivant le pointillé »…). Et c’est aussi parce qu’il avait encore trois spis à la fin de la course qu’il n’hésitait guère à employer la méthode la plus radicale pour enlever les algues, à savoir le départ au tas volontaire ;

– Et enfin, la troisième raison pour laquelle Pierrick ne barre pas tout le temps, c’est… qu’il fait chaud : « A partir du milieu de matinée ça cogne trop, je me mets à l’abri à l’intérieur », précise le skipper brestois plus habitué à la canicule du Tourduf (qui cogne aussi ; mais différemment).

« Les alarmes Adrena, avec un bon pilote, ça fait presque un équipier »

La page permettant de paramétrer toutes les alarmes qu’on veut, sur le logiciel Adrena.
La page permettant de paramétrer toutes les alarmes qu’on veut, sur le logiciel Adrena.

L’excellent logiciel Adrena, utilisé par de nombreux concurrents, inclut des alarmes paramétrables en fonction de toutes les données possibles et imaginables, et en particulier l’angle du vent (pour le portant et le louvoyage, quand le pilote est en mode vent réel ou apparent), la vitesse du bateau et même – chose particulièrement intéressante – la vitesse exprimée en pourcentage de la vitesse-cible de la polaire. Avec aussi la possibilité de paramétrer à l’envi le délai de temporisation, pour chacun des différents paramètres, ce qui est très utile. « Pour la vitesse minimale, précise Pierrick, je mets souvent 5 nœuds, ça correspond bien à ce qui se passe si le spi se dégonfle et ne repart pas tout seul. »

Le skipper de Zéphyrin a donc étudié le dossier à fond et le résultat est là. Conclusion : à la limite, la combinaison d’un bon pilote (NKE en l’occurrence) et des alarmes Adrena, « ça fait presque un équipier ».

Il y a même tout un lot de sons différents (cliquez ici ou ici) que l’on peut attribuer à chacun des différents paramètres, afin que le malheureux skipper brutalement arraché aux bras de Morphée sache d’emblée pour quoi il se lève.

« Des fois, quand ça part en vrac sur le pont, tu te retrouves à manœuvrer là-haut avec toutes les alarmes qui sonnent en même temps, imagine le truc. Alors quand t’as fini de mettre de l’ordre tu redescends [à la table à cartes] et tu tapes comme un dingue sur les touches du clavier pour qu’il arrête ce bordel. »

Le pilote aussi doit être paramétré avec soin, ce qui représente un vrai travail, à faire en amont avant le départ de la course. Et là encore, Pierrick a étudié le dossier à fond.

« Ce n’est pas forcément très intuitif et il faut savoir éviter les mauvaises combinaisons de gain et coefficient de barre, qui créent des régimes instables. Je joue aussi sur le lissage des données de vent, selon le type de vagues et selon la façon dont je veux que le bateau les négocie. »

Pour le reste, Pierrick utilise les différents modes du pilote selon la méthode la plus orthodoxe : mode vent réel pour descendre au portant, mode vent apparent pour grimper au louvoyage, et mode compas pour le reaching.

Le choix du jeu de voiles

Le skipper de Zéphyrin s’est félicité d’avoir laissé à terre sa grand-voile en D4 Vectran (membrane Incidences Technologie), alors même que la voile en question était plutôt adaptée au large avec une construction double taffetas. Il a préféré une voile à panneaux, triradiale, en DCX (un tissu laminé polyester double taffetas, fabriqué par Dimension-Polyant).

« Avant le départ j’ai pensé à ma belle grand-voile en D4, écrasée sur les barres de flèche pendant des jours, j’ai eu pitié d’elle par avance et alors j’ai pris l’autre. Et puis à la limite, pour le portant, comme elle est un peu plus creuse, c’est pas plus mal. »

A l’avant, Pierrick avait conservé son génois en D4 Vectran, une voile très tolérante, pas trop pointue, de type Figaro ; une voile qui, de toute façon, n’est pas beaucoup sortie de son sac depuis Saint-Nazaire…

Enfin, du côté des spis, le skipper regrette un peu de ne pas avoir choisi un spi asymétrique lourd (type « A5 ») à la place du code 5 sur emmagasineur. [1] Celui-ci n’étant pas fait pour être tangonné, contrairement à celui-là, d’où une difficulté pour descendre au portant – la voile ne tarde pas à battre au-delà d’un certain angle, comme le montre assez bien la vidéo ci-dessous. Et c’est d’autant plus ennuyeux quand on n’a plus de spi lourd ! Par ailleurs Pierrick note que le code 5 sur emmagasineur n’est pas si facile à rouler ; de son point de vue c’est à se demander si la bonne vieille manœuvre d’affalage de spi est réellement plus compliquée.

Savoir calmer le jeu : « A un moment, tu deviens une bête traquée »

Si son récit donne parfois l’impression d’une étonnante facilité, il ne faut pas s’y tromper, Pierrick a aussi connu des moments (très) difficiles. Par exemple quand il s’est blessé au visage avec un palan de grand-voile. Regardez, il n’avait pas bonne mine.

Mauvaise rencontre avec un palan fin de grand-voile
A la suite d’une mauvaise rencontre avec un palan fin de grand-voile.

Ou quand le spi lourd s’est déchiré, alors que la course était très loin d’être finie.

« A un moment tu deviens une bête traquée, tu es là à l’intérieur [il est assis à la table à cartes] et tu te demandes ce qui va te tomber dessus, tu écoutes les bruits du gréement et des voiles, tu es tellement tendu que tu as les mâchoires qui te font mal. Là il fallait vraiment que je calme le jeu. »

Et à force de calmer le jeu… il a gagné quand même.


L’arrivée de Pierrick Penven en Martinique. Images Overlap Prod.

[1] Pour simplifier, les codes sont des voiles non endraillées, jaugées et comptabilisées comme des spis, mais avec un guindant droit ; des voiles qui s’étarquent et qui peuvent donc aussi se rouler facilement. A la différence des spis elles sont souvent taillées dans des tissus laminés, beaucoup plus raides que des tissés Nylon ou même qu’un tissé polyester léger type Stormlite.

A bord du Sun Fast 3200 Zéphyrin, sous code 5 dans la brise. Images Pierrick Penven.

Savoir calmer le jeu : « A un moment, tu deviens une bête traquée »

Si son récit donne parfois l’impression d’une étonnante facilité, il ne faut pas s’y tromper, Pierrick a aussi connu des moments (très) difficiles. Par exemple quand il s’est blessé au visage avec un palan de grand-voile. Regardez, il n’avait pas bonne mine. [caption id="attachment_16235" align="aligncenter" width="730"]Mauvaise rencontre avec un palan fin de grand-voileA la suite d’une mauvaise rencontre avec un palan fin de grand-voile.[/caption] Ou quand le spi lourd s’est déchiré, alors que la course était très loin d’être finie.
« A un moment tu deviens une bête traquée, tu es là à l’intérieur [il est assis à la table à cartes] et tu te demandes ce qui va te tomber dessus, tu écoutes les bruits du gréement et des voiles, tu es tellement tendu que tu as les mâchoires qui te font mal. Là il fallait vraiment que je calme le jeu. »
Et à force de calmer le jeu… il a gagné quand même.
Publié par Sébastien Mainguet
Sébastien a œuvré à Voile Magazine de 2000 à 2015, aux essais mais aussi très souvent aux sujets équipement dont il s’est fait le spécialiste. Il a notamment été longtemps la cheville ouvrière de notre hors-série annuel dédié à l’équipement.
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