Régates et courses

HAPPY BIRTHDAY LAURENT PAGES

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Chef de quart sur Team Brunel, le Français Laurent Pagès nous a accordé cette interview à Alicante la veille du départ de la Volvo Ocean Race. Nous l’avons gardée bien au chaud pour la publier juste avant le 20 octobre, jour de ses 38 ans. Notre façon à nous de saluer ce talentueux régatier au succès modeste, vainqueur de l’édition précédente sur Groupama, et troisième en 2008 sur Telefonica Blue.

Voile Magazine : Tu as déjà participé à deux Volvo, pourquoi y revenir une troisième fois ?
A la fin de la dernière édition, j’avais vraiment le désir de passer à autre chose, pas forcément de remettre ça. Mais, l’envie est rapidement revenue. Cette course-là, elle est magique. On a la chance de se confronter au reste du monde, à des gars venus de tous les horizons, olympisme, Coupe de l’America, offshore. A des équipes d’une très haute compétence. Et puis il y a le parcours. Un tour du monde de 40 000 milles très technique où l’on rencontre tous les types de conditions sur des durées suffisamment longues pour que l’on ait le temps d’apprendre.

Tu en as déjà remporté une avec Groupama, qu’espérer de plus ? Gagner une seconde fois ?
Eh bien oui, gagner. Je pars pour ça. Tu peux avoir remporté plusieurs fois la Volvo, mais à chaque fois tu remets les compteurs à zéro. On peut toujours progresser. Chaque aventure, chaque engagement est différent, et la manière de courir est différente.

Mais est-on toujours aussi motivé ? N’y a –t-il pas une forme d’usure ?
Il n’y a aucune lassitude. L’usure, on ne la ressent vraiment qu’à la fin de la course où l’on a besoin de plusieurs mois avant de tout digérer. Bien sûr, la course ne dure que huit mois. Mais la campagne, celle de Telefonica Blue ou de Groupama, elle, s’étale sur deux ans et demi. Et quand ça s’arrête, on a envie de faire autre chose. De retrouver sa famille, le plancher des vaches. Et puis je le répète, la passion reprend le dessus.

Tu vas refaire le tour du monde. Ça compte pour toi cette notion de tour de la planète ?
J’avoue que c’est anecdotique.

Tu évoquais le fait de progresser. A ton niveau, tu continues à apprendre ?
Evidemment. On ne peut pas se contenter de dire : moi je suis bon dans tel domaine et là je suis moins bon. C’est important de travailler ses points faibles. En équipage, de bonifier ses points forts afin d’apporter une vraie valeur ajoutée à toute l’équipe.

Quels sont tes points forts ?
Je crois être reconnu pour ça, je sais faire avancer le bateau. Que ce soit en barrant ou au réglage des voiles. Je pinaille. Je suis en permanence à la recherche du moindre détail, significatif ou pas. Enfin, je pense avoir une bonne vision globale de la stratégie de course.

Team Brunel a été le premier bateau à terminer le parcours en baie devant Alicante avant de s'élancer vers Gibraltar.
Team Brunel, barré par Laurent, a été le premier bateau à terminer le parcours en baie
devant Alicante avant de s’élancer vers Gibraltar.

Concrètement, quel est ton rôle sur Team Brunel ?
Je prends les départs et je barre sur les régates inshore* ainsi que sur les petits parcours précédant les grandes courses, s où le skipper Bouwe Bekking joue le rôle de tacticien. Au large, j’assume le rôle de chef de quart.

Tu as évoqué tes points forts, et les faibles ?
Je n’aime pas le vide. Par exemple, il ne faut pas me demander de monter au mât. Je pourrais le faire, mais certains le font beaucoup mieux. Et je ne suis pas un bon bricoleur. Par ailleurs, si je suis quelqu’un d’assez sociable mais pas très bavard, il peut m’arriver de me mettre en colère si par exemple quelqu’un du bord se montre négligent ou transgresse les consignes de sécurité.

IMG_9261Sur un tout autre registre, que penses–tu de l’équipage féminin engagé dans la course ?
Les filles ont leur place. Mais mieux encore, leur participation est bénéfique pour notre sport. Objectivement, je ne les vois pas gagner ou prendre une place sur le podium, ni fermer la marche. Quand on s’est mesurés à elles, on a pu voir qu’elles étaient dans le match.

Physiquement, elles peuvent tenir ?
Elles sont onze, on est huit. Ça va les aider. De plus, elles sont bien préparées. Plus important, le VO65, contrairement au VO70, est devenu plus accessible. Il est plus proche d’un mono IMOCA que d’un VO70.

Tu as navigué sur les deux. Quelles sont les plus grandes différences ?
En terme de taille il n’y a pas de grande différence. Cinq pieds, ce n’est pas énorme. En raideur, si. Le VO70 avait un moment de redressement de 40 tonnes-mètres, le 65 seulement 28 tm. C’est une baisse significative. Elle se traduit par moins de surface de voilure, des voiles plus légères, plus faciles à manœuvrer. Des efforts à exercer lors du matossage moins laborieux. Si l’on avait gardé les VO70 dans cette édition, les filles n’auraient pas tenu le coup.

Vu de l’extérieur, on s’interroge toujours sur vos conditions de vie, vos possibilités de dormir, de s’alimenter…
Notre vie à l’intérieur du bateau reste succincte. On se déshabille, on mange, on dort, on remange, on se rhabille et on monte sur le pont. Il ne se passe pas grand-chose sinon que l’on arrive à dormir en toutes circonstances, même par 40-45 nœuds de vent. Ce que j’appelle la vraie vie, elle se déroule sur le pont.

Pour finir, ton meilleur souvenir de la précédente Volvo ?
En terme d’émotion, notre arrivée à Galway accueillis par des milliers d’Irlandais. Mais aussi la huitième étape, cap sur Lorient, avec cet empannage de folie qui nous a permis de prendre l’avantage sur les Espagnols pour finalement remporter l’étape. Un sacré souvenir qui me marquera à vie.

Et un mauvais ?
La mémoire est sélective, elle ne retient souvent que les bons. Mais en 2008, sur Telefonica Blue, j’ai mal vécu la deuxième étape. J’ai été blessé dans le dos en me faisant projeter par une vague sur la colonne de barre lors d’un surf. De plus, j’étais un peu au fond du trou côté psychologique. Mais tout ça, c’est oublié.

* C’est Team Brunel barré par Laurent Pagès qui a remporté le parcours côtier de la première étape.

Propos recueillis par Bernard Rubinstein. Photos : Loïc Madeline
Propos recueillis par Bernard Rubinstein. Photos : Loïc Madeline
Publié par  Bernard Rubinstein
Publié par Bernard Rubinstein
« Le dinosaure de la presse nautique », c’est ainsi que se définissait volontiers Bernard, alias Rubi ; il faut dire qu’il avait œuvré successivement dans les rédactions de Neptune Nautisme, Neptune Yachting et Voile Magazine pendant plus de 45 ans, après avoir fait ses classes sur Pen Duick VI aux côtés d’Eric Tabarly… Excusez du peu ! Trop tôt disparu (13 juin 2020), il reste pour toute la rédaction de Voile Mag un modèle de rigueur et de curiosité nautique.
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