Régates et courses

Un homme, un bateau, et deux tangons

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FVM_3786Pierrick Penven à son arrivée à Madère. Tous les autres Sun Fast 3200 de Saint-Nazaire sont derrière lui – ceux menés en double comme ceux menés en solitaire !

C’est entendu, les deux séries les mieux représentées cette année parmi les inscrits de la Transquadra sont les Sun Fast 3200 et les JPK 10.10 (voir ce billet). Au sein de la flotte atlantique, si les JPK 10.10 et 10.80 tiennent la dragée haute aux Sun Fast chez les doubles (voir ce billet), c’est tout le contraire chez les solitaires. Les deux grands vainqueurs de la première étape disputée entre Saint-Nazaire et Madère sont ici deux Sun Fast 3200, à savoir celui de Pierrick Penven (Zéphyrin), et celui de Jean-François Hamon (Pour Aster) qui est arrivé hier quelque deux heures plus tard.

Il y a une semaine, pourtant, quand nous avions croisé Pierrick à Saint-Nazaire, il ne voulait pas admettre qu’il avait tendance à gagner toutes les courses auxquelles il participe. En tout cas il signe un vrai sans-faute sur cette première étape : il est non seulement le premier solitaire (en temps réel et en temps compensé), mais aussi le 10è en temps réel sur une flotte de 72 bateaux qui comptait quelques ratings nettement plus élevés que le sien, et – last but not least – Pierrick était aussi le premier Sun Fast 3200 dans le port de Quinta do Lorde. Autrement dit, Renaud Barathon, le troisième solitaire en Sun Fast 3200, est derrière lui… ainsi que les treize autres Sun Fast 3200 partis de Saint-Nazaire, tous menés en double ! On peut ajouter qu’il a fait presque toute la course en tête. Pas mal pour un concurrent qui n’avait pas l’expérience d’une course au large en solitaire. Alors, comment fait-il ? Eh bien, en gros, il empanne avec ses deux tangons et dort sur ses deux oreilles (ou presque). Impressions et réflexions recueillies à l’arrivée, hier samedi 2 août.

Mon Voile Mag : tu as l’air en pleine forme quand même !

Pierrick Penven : « Ben là, sur la fin, y avait moyen de se reposer. Rien à voir avec ce qu’on avait eu avant. La sortie, tu vois, j’ai essayé tous mes spis les uns après les autres. Après y a eu la baston au cap Finisterre. J’ai gardé le spi jusqu’à une heure du mat’. Et y a Jean-François, lui, il l’a gardé jusqu’à deux heures. C’est sûr, on jouait à celui qui affale le plus tard. On se voyait pas mais on savait – mentalement, on s’en doutait ! »

Et quand tu as affalé, il y avait combien alors ?

« Oh, y avait des claques à 40 ; c’était 35 établis ; au bout d’un moment quand tu vois 30 sur le cadran tu es déjà soulagé et tu te dis : ah, c’est bien, ça se calme là ! Evidemment sous pilote ça tient pas dans ces conditions. Mais j’avais des biscuits et de l’eau, et ça allait, quoi. J’ai fait 19,75, là [nœuds, ndlr]. J’étais jamais allé aussi vite ! Mais c’est vrai que c’est n’importe quoi de naviguer comme ça ! Après je voyais même plus les compteurs, je voyais plus rien à la fin. Et puis là, y a les cargos… Tu vois ce que c’est, t’es déjà dans la galère et puis… aaargghh ! Et là y a un gars, je me demande si c’est pas Carpentier [Patrice, ndlr, sur le Sun Fast 3200 Groupe 5], qui a discuté en VHF avec la passerelle, et hop le mec se détourne, et je me suis dit, ouais, je vais survivre, c’est bon, le rail est passé. Et là, encore un autre cargo. Et ça a duré longtemps, une bonne demi-heure. A un moment, j’ai abattu, ça avait l’air de passer dans ce sens-là, et en fait on faisait une route parallèle… Et je suis parti à l’abattée. J’avais le génois dans son sac à l’arrière, qui était bien attaché avec des rabans sur les chandeliers, il est parti à l’eau, donc il était sous la coque mais toujours amarré aux chandeliers – il a plié les chandeliers, et pour le repêcher… c’est ce qui a été le plus galère, après avoir ramassé le spi. A la fin le seul moyen c’était d’attaquer le sac au couteau pour pouvoir le décrocher. Mais bon : pas pété le spi, pas pété le tangon, et récupéré le génois – et là ça a été gros soulagement… »

Avec Jean-François Hamon, ton poursuivant, l’écart est resté le même depuis deux-trois jours. Il est derrière toi depuis quand exactement ?

« En fait il allait toujours un peu plus loin dans les options, il attaquait, quoi. Il est derrière depuis la première nuit, je crois. J’avais pris un départ correct, mais pas en tête. A un moment j’ai fait un contrebord et je suis passé devant. Mais là je me goure de bouée ! [Rires.] Et je me suis gouré quand le courant venait de s’inverser, du coup j’ai dû remonter le courant… Y a Renaud [Barathon, ndlr] qui est passé derrière moi il était pété de rire sur son bateau. »

Tu as dormi combien d’heures, en moyenne, par 24 heures ?

« Oh, pas mal, cinq ou six heures. Voire j’ai fait des rêves. Parfois j’ai eu des pannes de réveil aussi, deux trois fois. Le truc c’est que plus tu dors et plus t’as envie de dormir. Si tu restes dans le rythme des dix minutes, ça va. Tu fais le robot, tu repars. Mais si tu te dis c’est bon là y se passe rien, je dors une demi-heure, c’est là que ça se gâte… J’ai un réveil qui compte le temps depuis qu’il a sonné. Une fois j’ai regardé, ça faisait une heure qu’il avait sonné… Par exemple, pas la nuit dernière, mais la nuit d’avant, le vent était vraiment instable. Et le seul truc que j’ai trouvé pour dormir, c’est de laisser le bateau en mode vent apparent, avec des alarmes si vraiment il fait des gros écarts. [ndlr : en course, on évite en principe le mode vent apparent ou vent réel, car il faut que le bateau aille tout droit…] De toute façon, en mode compas, tu tiens pas le spi. Tu vas te coucher et t’entends blang, blang. »

Et globalement, tu passes combien de temps à barrer, combien de temps sous pilote ? Dès que ne dors plus tu barres, ou bien ?

« Ah non, en plus j’ai un problème de barre, le bateau tire à gauche, et donc il est assez désagréable à barrer. Au près c’est sympa mais autrement, bof. Et du coup j’étais presque tout le temps sous pilote. Comme ça t’es frais pour attaquer quand c’est la baston. En plus c’était quand même la première fois que je naviguais avec ce bateau sous spi avec quarante nœuds de vent ! »

Dans ces conditions, quelle est ta technique pour empanner ?

« Ah, y faut que je fasse une grosse bise à Olivier Burgaud [qui navigue sur un JPK 9.60 en double avec Louis Lagadec, ndlr]. Parce que c’est lui qui m’a expliqué la technique des deux bras, deux écoutes, deux tangons, et c’est génial. [1] Maintenant, y a 25, 30 nœuds, tu te dis [en chantonnant] : « aaah, je vais empanner ». Alors qu’avant tu avais un petit stress quand tu empannais. Donc là tu commences [chantonnant toujours, et mimant les gestes] : « Bah, je vais empanner mon tangon ; je mets mon tangon, zwip, zwip ; j’empanne, zwip ; j’affale mon tangon – faut juste faire attention qu’il perce pas le spi au passage. C’est juste un peu de bricolage au niveau des manœuvres, quoi, d’avoir les deux balancines et les deux hale-bas, j’ai dû dupliquer le hale-bas, en fait je l’ai coupé en deux, comme y avait déjà un taquet de chaque côté, ça tombait bien, maintenant y a un taquet par hale-bas. J’ai essayé pour la première fois pendant le convoyage, j’ai dit c’est pas mal quand même. »

Mais concrètement, ça se passe comment ; tu vas d’abord mettre ton tangon ; après, la grand-voile tu l’empannes à quel moment par exemple ?

« Ah, au milieu, là, tranquille. T’as tout ton temps. Le truc c’est ça : tu hisses ton deuxième tangon ; là, tu règles ton spi avec tes deux tangons, avec un réglage moyen qui va pour les deux amures ; t’attends un peu de voir comment ça se passe [comment le bateau se comporte, ndlr] ; et après tu peux te dire : c’est bon, je vais empanner. Hop, tu bordes ta grand-voile, tu la fais passer, BLANG, tu la re-choques un peu. Et là il te reste plus qu’à affaler ton tangon. Y a pas droit de rester avec les deux tangons toute la course sinon ce serait bien… Tu t’emmerderais plus ! Et puis avec deux bras et deux tangons tu peux aussi empanner facilement avec le génois belge ! [2] »

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L’arrivée du solitaire Pierrick Penven, vainqueur en temps réel et en temps compensé dans cette première étape de la Transquadra Atlantique. Images Overlap Prod.

Passage en force à Gibraltar

Les autres solitaires arrivés en tête hier après-midi ne sont pas moins méritants. Il y a bien sûr Jean-François Hamon, cité plus haut, qui avait terminé deuxième au classement général en 2012, et qui s’est accroché à Zéphyrin jusqu’au bout, prenant là encore la deuxième place.

FVM_4902Sur son Maxi 10.50 Boulinou, un vrai bateau de propriétaire, le Méditerranéen Eric Bompard a mis tout le monde d’accord en temps compensé. La grande classe.

Mais il y a aussi les deux vedettes de la Transquadra Méditerranée, à savoir Frédéric Ponsenard, vainqueur en temps réel de cette première étape, et Eric Bompard, a priori vainqueur en temps compensé. Celui-ci a mené son Maxi 10.50 avec subtilité, en particulier dans les calmes de la Grande Bleue. Il arrivait alors à suivre l’A35 de Frédéric Ponsenard ! Lequel termine premier de toute la flotte méditerranéenne, laissant tous les doubles derrière lui. Alors certes son Coco a l’un des plus gros ratings, mais on sait aussi que c’est un bateau très exigeant à mener en solitaire, et avec les conditions très complexes rencontrées en Méditerranée, il fallait être capable de tenir la distance. Le récit par Frédéric de son passage de Gibraltar, au louvoyage, en force, sous génois lourd et grand-voile à un ris par 40 nœuds de vent, donne une petite idée de ce qu’a été ce parcours entre Barcelone et Quinta do Lorde. Le foc de brise, explique le skipper, n’était pas assez puissant pour passer dans une mer très courte et abrupte ; alors il fallait bien tenir le génois lourd…

« J’ai fait beaucoup de Surprise, précise-t-il, et on a l’habitude de naviguer juste sur les lattes de la grand-voile. Bien sûr j’étais sur la tranche mais ça allait, à part en sortie de virement où j’avais tendance à glisser pas mal avant de me remettre en route. »

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L’arrivée de l’A35 Coco (vainqueur en temps réel de la première étape de la Transquadra Méditerranée), toujours un grand moment. Images Overlap Prod.

Pour Eric Bompard, passé au même endroit dans des conditions similaires, en même temps que deux autres bateaux, cet épisode reste aussi le grand moment de la course et même « l’un des plus beaux moments de voile de [sa] vie ». Et il faut imaginer que la séquence en question s’insère entre de très longues heures de pétole avant Gibraltar et… d’autres longues heures de pétole à l’entrée dans l’Atlantique.

FVA_4661A l’arrivée, les deux vainqueurs en solitaire en temps réel (Pierrick Penven, venu de Saint-Nazaire, à gauche, et Frédéric Ponsenard, venu de Barcelone, à droite) n’ont pas tardé à se découvrir un goût commun pour la fantaisie.

[1] D’autres concurrents non moins expérimentés nous signalent quand même un risque avec les deux tangons : en cas de départ au lof en sortie d’empannage (des choses qui arrivent, il est vrai), il existe un risque de voir le tangon planter dans l’eau, se casser et au pire, endommager le hauban au passage. On en reparlera peut-être.

[2] Le « génois belge » est constitué de simples bandes de tissu cousues ensemble et il sert uniquement à empêcher le spi d’aller s’enrouler autour de l’étai. Mais il est bien sûr gênant au moment de l’empannage.

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L'arrivée du solitaire Pierrick Penven, vainqueur en temps réel et en temps compensé dans cette première étape de la Transquadra Atlantique. Images Overlap Prod.

Passage en force à Gibraltar

Les autres solitaires arrivés en tête hier après-midi ne sont pas moins méritants. Il y a bien sûr Jean-François Hamon, cité plus haut, qui avait terminé deuxième au classement général en 2012, et qui s’est accroché à Zéphyrin jusqu’au bout, prenant là encore la deuxième place. FVM_4902Sur son Maxi 10.50 Boulinou, un vrai bateau de propriétaire, le Méditerranéen Eric Bompard a mis tout le monde d'accord en temps compensé. La grande classe. Mais il y a aussi les deux vedettes de la Transquadra Méditerranée, à savoir Frédéric Ponsenard, vainqueur en temps réel de cette première étape, et Eric Bompard, a priori vainqueur en temps compensé. Celui-ci a mené son Maxi 10.50 avec subtilité, en particulier dans les calmes de la Grande Bleue. Il arrivait alors à suivre l’A35 de Frédéric Ponsenard ! Lequel termine premier de toute la flotte méditerranéenne, laissant tous les doubles derrière lui. Alors certes son Coco a l’un des plus gros ratings, mais on sait aussi que c’est un bateau très exigeant à mener en solitaire, et avec les conditions très complexes rencontrées en Méditerranée, il fallait être capable de tenir la distance. Le récit par Frédéric de son passage de Gibraltar, au louvoyage, en force, sous génois lourd et grand-voile à un ris par 40 nœuds de vent, donne une petite idée de ce qu’a été ce parcours entre Barcelone et Quinta do Lorde. Le foc de brise, explique le skipper, n’était pas assez puissant pour passer dans une mer très courte et abrupte ; alors il fallait bien tenir le génois lourd…
« J’ai fait beaucoup de Surprise, précise-t-il, et on a l’habitude de naviguer juste sur les lattes de la grand-voile. Bien sûr j’étais sur la tranche mais ça allait, à part en sortie de virement où j’avais tendance à glisser pas mal avant de me remettre en route. »
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Publié par Sébastien Mainguet
Sébastien a œuvré à Voile Magazine de 2000 à 2015, aux essais mais aussi très souvent aux sujets équipement dont il s’est fait le spécialiste. Il a notamment été longtemps la cheville ouvrière de notre hors-série annuel dédié à l’équipement.
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