Pratique voile

La règle Tac'Man, moins kitsch que Pac-Man

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Cet outil d’un genre nouveau, spécialement destiné au louvoyage, a été conçu par Christian Manon, un pilote d’Airbus à la retraite. Baptisée “Tac’Man”, cette règle carrée permet de visualiser très facilement les bords que l’on peut tirer, et ainsi de mettre au point une stratégie en quelques secondes. Le mode d’emploi est on ne peut plus simple : les deux grosses flèches noires représentent la direction du vent, il suffit de tourner la rose des vents (imprimée sur un disque mobile) pour faire correspondre cette direction avec la valeur relevée par la centrale de navigation. Sans toucher au disque, on positionne ensuite la règle de manière à ce que les flèches rouges soient bien pointées vers le nord, tout en faisant correspondre le coin sous le vent avec la position du bateau. La Tac’Man étant carrée, on suppose bien sûr que l’on remonte à 45° du vent réel sur le fond (dérive incluse). Ce qui est un tantinet optimiste pour nombre de bateaux. Les petits triangles noirs dans les coins permettent de rectifier le tir pour ceux qui au contraire feraient… mieux que 90° d’un bord sur l’autre (quant aux traits rouges et verts au milieu des côtés du carré, ils représentent les demi-coques bâbord et tribord, avec le code couleur habituel).

Résumé de l’inventeur :

“Elle (la règle) ne sert pas à la « navigation », c’est un outil pour matérialiser la zone inaccessible à la voile, les bords de près, et déterminer une tactique. En route, elle peut aussi s’utiliser à l’inverse : on aligne un côté sur la direction suivie, on obtient ainsi le deuxième bord, et si on fait tourner le plateau (flèches rouges vers le nord), on lit la direction du vent…”.

L’idée est donc ingénieuse et pour tout dire convaincante… au moins pour les puristes qui ne craignent pas de louvoyer et ont gardé une sorte de lien affectif indéfectible avec les cartes papier. J’ai quand même suggéré à Christian Manon qu’en dehors des régatiers en régate et de quelques énergumènes à la limite de la marginalité sociale, personne ne s’amusait plus à remonter au louvoyage, surtout avec un vent à 10° de l’axe de la route… A moins d’y être contraint, c’est-à-dire à moins que le vent ne souffle à plus de vingt nœuds en levant une mer formée (conditions dans lesquelles on ne va pas plus vite au moteur) et que l’emploi du temps impose de progresser dans cette direction précisément. Les régatiers en convoyage préfèrent souvent brûler du gasoil pour arriver plus tôt et ainsi avoir plus de temps pour mieux préparer le bateau ou mieux le ranger ; quant aux pères tranquilles en croisière, ils préfèrent… aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte et la bière plus fraîche.

Et puis la règle Tac’Man a me semble-t-il un concurrent assez redoutable : le simple traceur, et même le simple GPS portable, vu que la plupart des modèles peuvent afficher l’écart de route (en distance), l’écart entre le cap et la route (en degrés) et le VMG. Dès le moment où l’on a entré le waypoint visé, tout devient donc assez simple. Prenons l’exemple d’un bateau “standard” qui remonte à 6 nœuds à 45° du vent réel (dérive incluse), soit un VMG de 4,2 nœuds. On peut alors surveiller l’écart entre le cap et la route, et/ou surveiller le VMG. Pas besoin de trop se creuser la tête pour savoir quel est le bord rapprochant. Si le waypoint est à moins de 45° de la route, ou si le VMG est supérieur à 4,2 nœuds, c’est qu’on est sur le bord rapprochant. Sinon, c’est qu’on est sur le contre-bord. En surveillant simplement l’un ou l’autre de ces deux chiffres, il n’est donc pas difficile de “tricoter” dans le bon sens en évitant de faire de la route en trop. Surtout si l’on garde en même temps un œil sur l’écart de route… sachant que d’une manière générale il y a toujours deux grands principes à respecter :

-Privilégier le bord rapprochant : faire celui-ci en priorité, le contre-bord ensuite (1) ;

-Sur une longue distance, ne pas trop s’éloigner de la route directe (d’où l’intérêt de l’écart de route en distance), sauf fort courant (2) et/ou bascule de vent attendue.

Mais justement, à cet égard, la Tac’Man peut s’avérer très complémentaire pour voir où on va et où on en est ; elle permet en effet de visualiser les choses d’une manière plus directe et disons plus sensible. Car même avec une cartographie électronique, on ne dispose pas forcément d’un outil équivalent à la petite règle de Christian Manon ; a priori, seuls certains traceurs haut de gamme, ainsi que les logiciels de navigation un peu évolués, offrent des fonctions comparables, et encore, l’interface ne permettra pas forcément d’aller aussi vite ! (les développeurs de logiciel me détromperont le cas échéant).

A l’appui de sa démarche, notre inventeur nous a fait part de quelques réflexions plutôt bien senties :

“Convaincus de l’inutilité d’avoir quelques notions de navigation, la plupart des plaisanciers collectionnent les GPS, les magnifiques lecteurs de cartes « zancouleur » au mode d’emploi épais comme un roman de Tolstoï, etc. Ne croyez surtout pas que je sois un anti-électronique primaire : en plus de la carte papier, j’utilise toujours un GPS fixe en marche, j’ai toujours avec moi un GPS portable en secours, et mon smartphone au goût fruité contient l’excellente et peu onéreuse application de chez Navionics… Durant ma vie de pilote, nous avions non seulement deux GPS, ces dernières années, mais aussi trois centrales inertielles, sans compter au moins quatre systèmes de radio-navigation basique et deux mesureurs de distance ; l’électronique, aucune phobie !”.

Christian Manon n’a pas encore réusssi à convaincre les distributeurs, mais en attendant il vend sa règle Tac’Man en direct, au prix de 18 € ; il suffit de le contacter sur tac-man@orange.fr ou au 06 82 23 68 11 (un site internet est en construction).

(1) Sauf cas particuliers, faire le contraire n’est pas raisonnable ; c’est des coups à faire de la route en trop si le vent tourne – c’est aussi pour cette raison que d’une manière générale il faut éviter de trop s’éloigner de la route directe.

(2) Un exemple très connu qui n’est pas forcément évident à saisir au premier abord : si vous traversez la Manche entre Cherbourg et Cowes (perpendiculairement au courant), et que vous envisagez de parcourir ces 60 milles en une douzaine d’heures (à 5 nœuds de moyenne), vous avez tout intérêt à oublier la route directe, et à ne surtout pas essayer de compenser le courant ; car il faut chercher la route la plus courte sur l’eau. Si vous compensez le courant, vous allez faire beaucoup plus de route… sur l’eau – et c’est ça qui compte (mais si vous marchez à 10 nœuds c’est bien sûr une autre histoire).

Publié par Loïc Madeline
Journaliste à Voile Mag de fin 1999 à 2015, Loïc a été adjoint puis Rédacteur en chef avant de partir vers de nouveaux horizons. Venu de la presse généraliste, écrite et télé, c’est un journaliste dans l’âme, rigoureux et passionné.
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